Ne pas dire le Mal n’apporte pas la paix…

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Ne pas dire le Mal
n’apporte pas la paix…
Amiral Alain Coldefy

300px|link=|right Le porte-avions français Charles de Gaulle, à ce jour l’unique bâtiment de combat de surface à propulsion nucléaire construit en Europe occidentale. « En 2018, à la conférence de Munich sur la sécurité, Sigmar Gabriel, ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, a déclaré sans susciter de débat : Les Européens sont les derniers végétariens dans un monde de carnivores géopolitiques ». Amiral Alain Coldefy

Le XXIème siècle est décidément un siècle étrange, fait de ruptures inattendues et de continuités parfois inespérées, souvent dé- sespérantes. Le monde d’aujourd’hui est en apparence dans un état métastable qui pourrait faire espérer l’apaisement après un chaos transitoire. Rien n’indique cependant que ce soit le cas. Où allons-nous ? That is the question. Les leçons du passé sont un in- variant de la stratégie. La culture des peuples en est le premier. Elle effacera toujours l’Homo Universalis que des innocents récla- ment sans réfléchir. La Russie d’Europe est redevenue orthodoxe en quelques mois après la mascarade communiste qui, en fait de dictature du peuple, n’a été que la dictature mortifère du gou- lag. L’Asie, l’Orient, l’Afrique eux aussi conserveront des traits de culture étanches voire hostiles, en tout ou partie, aux « idéaux» de l’Occident chrétien. Malraux avait sonné le rappel avec sa fameuse apostrophe : « le XXIème siècle sera spirituel », et nous y sommes. L’ignorer est la première faute stratégique. L’Homo Europaeus ne va pas bien non plus, pour les mêmes raisons profondes. Pour les peuples, l’histoire est tragique, c’est le second invariant. Dans ce décor, les populations civiles sont devenues définitivement les principales victimes des conflits modernes alors que les militaires portent toujours en eux ce tragique de l’histoire et savent de quoi ils parlent. La première partie du XXème siècle a été celle des grandes guerres, cette fois mondiales entre Etats, avec pour résultat l’anéantissement de l’idéologie nazie, la montée du communisme et la consécration des Etats-Unis comme première puissance mondiale, militairement mais aussi économiquement car la guerre n’a pas eu lieu sur son sol, et donc son industrie a pu se développer de façon extraordinaire.

« Le début du XXIème siècle a vu le rejet des institutions qui disent le droit international, et

l’extension du terrorisme international islamique en partie facilité par la cyber société. » Amiral Alain Coldefy


SARTRE S’EST TOUJOURS TROMPÉ…

Puis la guerre froide a pris le relais, gelée par la dissuasion nucléaire jusqu’à la désintégration par l’intérieur du « modèle» soviétique, la migration en masse vers l’Ouest et non vers l’Est. Sartre s’est toujours trompé. Un nouveau monde «post-guerre froide» devait alors surgir, libéral, globalisé, respectueux des droits de l’homme. L’Occident chrétien, toujours lui, a voulu installer la démocratie et ses valeurs, et protéger ses marchés, en faisant de la Russie, de la Chine, et des dictatures diverses, des partenaires convenables. Beaucoup l’ont cru et «y ont cru», dans l’esprit, et heureusement non la lettre, de Jules Ferry en 1885 idéalisant la colonisation au profit du développement des colonisés. Cet idéal s’est fracassé sur le mur de la réalité : le droit international n’existe pas, la démocratie au sens de Tocqueville de l’interpénétration de la société civile et de la société politique est rejetée, la mondialisation est un leurre, le repli sur les nationalismes un fait. En effet le début du XXIème siècle a vu le rejet des institutions qui disent le droit international, et l’extension du terrorisme international islamique en partie facilité par la cyber société. Car après ce monde «post-guerre froide» porteur d’espérances finalement déçues, un monde « post-postguerre froide» a surgi, dont le mandat du président Trump a été la forme pacifique et forte à la fois, les nationalismes et populismes la forme potentiellement dangereuse et le terrorisme islamique la forme violente. Il est temps d’ouvrir les yeux.

TOUT LE MONDE EST SUR LA SCÈNE

Comment alors caractériser en termes stratégiques ce monde nouveau ? Le monde du XXIème siècle est celui de la diversification des acteurs et des espaces de la guerre, et de l’interaction instantanée par l’information : il n’y a plus de spectateurs et d’acteurs, tout le monde est sur la scène, les réseaux ont succédé aux

« Alors que l’Europe continue de se désarmer, la totalité des Etats qui comptent se réarme dans des proportions que les politiques ne veulent pas voir. » Amiral Alain Coldefy

frontières. La diversification des acteurs se dessine autour de deux catégories. Les acteurs étatiques et les Etats-puissance qui sont de retour. La confrontation majeure entre Etats avait été reléguée au dernier rang en termes de probabilité d’occurrence dans les scénarios des Livres Blancs du dernier quart de siècle, en France et ailleurs. Mais, alors que l’Europe continue de se désarmer, la totalité des Etats qui comptent se réarme dans des proportions que les politiques ne veulent pas voir. En 2018, à la conférence de Munich sur la sécurité, Sigmar Gabriel, ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, déclare : «Les Européens sont les derniers

végétariens dans un monde de carnivores géopolitiques », sans susciter de débat. Tous ces Etats construisent des porte-avions et veulent des sous-marins nucléaires, développent des missiles hypersoniques, lancent des satellites et possèdent une capacité de cyber guerre considérable sans parler de l’arme nucléaire. Nous sommes évidemment concernés. Contrairement aux trois singes de la sagesse, ne pas voir, ne pas entendre, ne pas dire le Mal n’apporte pas la paix, si ce n’est intérieure, et on ne pourra pas dire encore «qu’on ne savait pas». Plus que jamais la dissuasion nucléaire est pertinente, plus que jamais nos armées doivent être capables d’affronter des adversaires puissants, ce paradoxe apparent n’est pas assez étudié.