Platon et la mer

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A partir de Jean Luccioni - doi : https://doi.org/10.3406/rea.1959.360
Creative commons
Platon et la mer
perférent d'analyse terminologique et
de philosophie politique générale

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Résumé
L'idée est ici de partir de l'analyse de Jean Luccioni pour comprendre comment la vision platonicienne de l'ordre marin fonde la sociétalité humaine et le déploiement technologique actuel. Selon Luccioni, Platon, qui connaissait la mer pour avoir voyagé, lui a accordé dans son œuvre une place qui n'est pas négligeable. On relève chez lui un certain nombre de comparaisons et de métaphores nautiques dont les unes sont de simples procédés de style et les autres lui ont permis d'illustrer cette idée que la compétence est nécessaire dans tous les domaines de l'activité humaine. Philosophe et politique, il s'est intéressé à la manière dont l'homme pouvait relever les défis de la mer.
Note 
  1. la mise en page au format wikitext a réclamé une lecture optique d'un texte ancien sous pdf. Les caractères grecs n'y ont en général pas résisté, et l'annotation a souffert. Le texte de Jean Luccioni se trouve en arrière plan, dans la page Discussion de notre commentaire partagé qui va, au départ tout au moins, en reprendre le plan.
  2. Pour l'instant est en cours une segmentation sous-thèmatique (plan) et une certaine mise en forme orthotypographique.



I. — La mer dans la vie de Platon

Quelle connaissance Platon avait-il de la mer? Sa biographie peut, semble-t-il, nous fournir les éléments d’une réponse satisfaisante.

Culture générale athénienne

Platon connaissait la mer comme pouvait la connaître tout Athénien et, dans le cas particulier, il s’agissait d’un Athénien qui avait naturellement l’esprit observateur, qui regardait tout ce qui se passait autour de lui, s’intéressant à tous les aspects de l’existence et s’appliquant de toutes les forces de son intelligence à les comprendre. Or, rien n’était plus fait pour attirer et retenir son attention que le spectacle qu’offrait le Pirée. Du port de commerce, des navires partaient pour toutes les directions, pour le Pont-Euxin, l’Asie Mineure, l’Égypte ou la Sicile ; d’autres revenaient chargés de marchandises de toute sorte, aussi bien du bois et des métaux que des tissus et des denrées nécessaires au ravitaillement d’Athènes ; au port de guerre appareillaient les escadres qui assuraient la domination athénienne sur la mer Égée et les îles. Un tel spectacle suffisait déjà à montrer combien la vie de la cité tenait à la mer.

En outre, les événements historiques faisaient apparaître d’une façon extrêmement frappante l’importance de la mer pour Athènes. Lors de la guerre du Péloponnèse, Athènes avait pu résister à Sparte et à ses alliés tant qu’elle avait été maîtresse de la mer ; la destruction de sa flotte à Aegos Potamoi avait permis à Lysandre de bloquer le Pirée et d’entrer dans Athènes en vainqueur. Plus tard, c’est grâce à la renaissance de sa marine qu’Athènes allait pouvoir recouvrer sa puissance et fonder un nouvel empire.

Un sujet de réflexion personnel

Nous avons le droit de penser que Platon, autant et plus que tout autre Athénien du ive siècle, devait réfléchir sur les faits contemporains, qu’il s’agît des circonstances ordinaires de la vie athénienne ou des événements historiques. Dès sa jeunesse, en effet, il aspirait, comme lui-même nous l’apprend, à jouer un rôle politique. Avec cette probité qui le caractérisait, il ne voulait pas être de ceux qui se ruaient vers les affaires de la cité avant d’en être instruits.

Comment aurait-il pu rester indifférent aux questions maritimes quand, autour de lui, ses concitoyens s’intéressaient si vivement à la mer? Dans l'Alcibiade, la question des constructions navales n’est-elle pas citée parmi celles dont les Athéniens ont souvent à délibérer ?

Au surplus, comme tous les Athéniens cultivés, Platon connaissait dans le détail les poèmes homériques [1]. On sait la place que ces poèmes tenaient dans l’éducation à Athènes [2]. Si l’on en croit l’auteur d’un dialogue attribué, à tort, semble-t-il, à Platon, Hipparque, le fils de Pisistrate, avait institué à Athènes l’usage de réciter aux Panathénées les poèmes d’Homère en entier. Le succès des rhapsodes à Athènes est attesté par maint passage de l’Ion. On se rappelle enfin ce personnage du Banquet de Xénophon, qui se vantait de savoir par cœur l'Iliade et l'Odyssée.

L'apport d'Homère

Or, l'Iliade et l'Odyssée étaient bien faites pour familiariser — s’il en était besoin — le public athénien avec les choses de la mer et c’est Platon lui-même qui nous permet de l’affirmer.

  • L'Iliade évoquait le spectacle des vaisseaux tirés à sec sur le rivage, ces vaisseaux recourbés qui avaient amené les Achéens devant Troie et auxquels songeait Achille, soit qu’irrité contre Agamemnon il voulût se retirer, soit qu’au contraire, désireux de venger Patrocle, le héros se refusât à demeurer inactif auprès des mêmes vaisseaux. L'Iliade, à elle seule, était de nature à susciter un certain intérêt pour quantité de choses relatives à la mer, par exemple, en donnant certains détails de caractère technique empruntés à la vie des pêcheurs, détails que Platon avait retenus. C’est ainsi que le poète compare Iris, qui plonge dans la mer, à une balle de plomb qui, au bout d’une corne de bœuf où est fixé l’hameçon, va porter la mort aux poissons.
  • Quant à l'Odyssée qui est le poème de la mer, même si on prend l’expression dans le sens restreint que lui donne M. Gabriel Germain, tout y est mis en œuvre pour rendre la mer toujours présente à l’imagination des auditeurs et des lecteurs, par la peinture de ses aspects les plus divers et l’évocation des légendes dont elle était le théâtre. C’est ainsi que dans V Ion le rhapsode qui a donné son nom au dialogue est comparé à Protée, le dieu marin, qui prenait toutes les formes et se tournait dans tous les sens.

L’œuvre d’Homère, au surplus, n’était point la seule où l’on pût voir, ou tout au moins entrevoir la mer, témoin les vers de la palinodie où Stésichore déclarait qu’Hélène n’était point montée sur les nefs bien pontées pour aller à Troie, vers que Platon cite dans son Phèdre.

Apport de Socrate ?

Si la poésie amenait parfois un jeune athénien curieux et cultivé à tourner son attention vers les choses de la mer, en était-il de même de l’enseignement de Socrate? Il ne semble pas. Socrate avait dû prendre la mer lors de certaines expéditions militaires auxquelles il avait participé. On sait, en effet, qu’il avait combattu à Potidée et à Amphipolis. Il était allé une fois au moins à Corinthe pour assister aux jeux Isthmiques. La mer n’était donc pas pour lui une chose inconnue. Mais il avait des goûts sédentaires. En outre, avec une inlassable curiosité d’esprit, il était toujours en quête d’apprendre ; mais, sans doute, les flots, pas plus que les champs et les arbres, ne lui enseignaient rien. S’il parlait souvent de foulons et de cordonniers, il ne semblait guère s’occuper beaucoup des marins.

Xenophon

Il avait fallu que Xénophon fût sorti du cercle socratique pour s’intéresser aux choses de la mer. Le commandant de l’arrière-garde des Dix mille avait entendu les cris de OdcXavra poussés par les soldats parvenus au sommet du mont Théchès ®. L’historien avait dû à plusieurs reprises porter son attention sur les opérations navales et il savait rendre hommage à la discipline des marins athéniens x. Le moraliste avait conservé le souvenir de ce navarque qui s’était fait aimer de ses matelots, et il avait tiré une leçon d’ordre du spectacle que lui avait offert un vaisseau phénicien. Théoricien politique, désireux de collaborer à une entreprise de redressement national, il avait admis finalement qu’Athènes avait le plus grand intérêt à développer sa puissance navale et son commerce maritime.

L'expérience maritime de Platon

Quant à Platon, c’est de son expérience personnelle qu’il a tiré sa connaissance des choses de la mer. A Athènes même, il était en relation avec des métèques. Au début du Phèdre, il est question de Lysias et de son père Céphale qui possédait au Pirée une fabrique d’armes. C’est au Pirée également, chez Polémarque, l’autre fils de Céphale, qu’a lieu l’entretien sur la justice par lequel commence la République5. Mais surtout Platon a voyagé.

Mégare, Cyrène, Egypte

Une tradition généralement admise veut qu’après la condamnation de Socrate, il ait fait un séjour à Mégare, auprès d’Euclide[3]. Il se serait ensuite rendu à Cyrène où il aurait vu le mathématicien Théodore, puis en Italie, notamment à Tarente où il connut des Pythagoriciens, entre autres Philolaos et Eurytos ; enfin en Égypte. Ces renseignements nous viennent surtout de Diogène Laërce, dont l’autorité est loin d’être toujours décisive, mais qui, dans le cas particulier, invoque le témoignage d’Hermodore[4]. Diogène raconte aussi que le philosophe tomba malade en Égypte et qu’il fut guéri par des prêtres grâce à un remède à base d’eau de mer, ce qui lui fit dire que la mer lave tous les maux des hommes. Ces différents voyages [5] ont-ils eu lieu réellement? Ils sont simplement vraisemblables, et s’il est souvent question de l’Égypte dans l’œuvrede Platon, le fait ne signifie rien1. On pourra, d’ailleurs, faire toujours remarquer que dans sa Lettre VII, où il retrace la formation de ses idées politiques, Platon ne mentionne ni son voyage à Mégare, ni son voyage en Égypte, mais seulement un voyage en Italie , qui aurait précédé immédiatement ses séjours en Sicile sur lesquels il s’étend longuement. Il est probable que c’est lors de ce voyage qu’il se lia d’amitié avec Archytas de Tarente. [6].

Des voyages pour s'instruire

Ce n’était pas le goût de l’aventure qui l’avait poussé à prendre la mer ni le désir de s’enrichir. Il voulait s’instruire et en même temps il cherchait l’occasion de faire appliquer ses théories politiques. En arrivant à Syracuse, il se retrouvait dans une grande métropole qui devait à la mer sa puissance et sa prospérité. Mais ce n’était pas ce dernier point qui l’intéressait. Il s’agissait seulement pour lui de convertir un tyran à ses idées. La tâche n’allait point sans difficultés ni même sans dangers.

Syracuse

Le premier séjour de Platon en Sicile finit mal et aurait pu finir plus mal encore. Sur l’ordre de Denys l’Ancien, Platon fut embarqué par traîtrise sur un vaisseau spartiate et vendu comme esclave dans l’île d’Égine. Là, il fut heureusement racheté par Annicéris de Cyrène [7]. Une seconde fois, Platon, retourné à Syracuse, mais retenu contre son gré dans la citadelle par Denys le Jeune, n’aspirait qu’à reprendre la mer et se désolait à l’idée qu’aucun capitaine de vaisseau n’accepterait de le prendre à son bord ; ce n’est qu’au bout d’un temps assez long qu’il réussit à convaincre le tyran de le laisser repartir. Au cours du troisième séjour de Platon à Syracuse, de nouveau sa situation fut un peu celle d’un prisonnier. Plus d’une fois il dut tourner ses regards vers cette mer qui lui était interdite par la volonté de Denys et d’où pouvait venir le secours, jusqu’au jour où, en effet, entra dans le port un navire à trente rames envoyé par Archytas et dont le commandant obtint la mise en liberté de Platon.

Nature, importance, influence de la mer

La mer n’était donc pas chose ignorée de Platon. Il la connaissait bien pour l’avoir contemplée au cours de plusieurs traversées qui furent longues[8] et comme sa pensée revenait toujours sur le problème des sociétés politiques et de leur organisation, il avait pu méditer à loisir sur le rôle que cette mer avait joué dans l’histoire de l’humanité et sur l’influence qu’elle exerçait sur le développement de la civilisation.

Une chose, en tout cas, est sûre, c’est que si la mer n’est pas absente de la vie de Platon, elle ne l’est pas davantage de son œuvre. Il en parle assez souvent pour nous persuader que, loin de le laisser indifférent, elle a pris et conservé une place qui n’est pas négligeable dans l’ensemble des préoccupations ordinaires de son esprit.

II. — La mer dans l’univers physique de Platon

Dans le Phédon, Platon prête à Socrate une certaine représentation de l’univers physique, qui est en relation avec les idées platoniciennes sur la destinée des âmes et les sanctions de l’au-delà.

La Terre selon Socrate

La terre, selon Socrate, a la forme d’une sphère, mais il y distingue une partie supérieure, une partie inférieure et une troisième partie qui correspond aux Enfers.

  • La partie supérieure seule constitue la véritable terre, séjour fortuné où tout est brillant et pur, où résident ceux dont la vie a été exemplaire et sainte.
  • La région inférieure est formée d’un grand nombre de creux qui diffèrent par leur forme et leur grandeur. Les hommes qui habitent ces creux prennent l’air pour le ciel parce que’c’est à travers l’air qu’ils observent le cours des astres ; en fait, ils ignorent le ciel véritable. Platon les compare à un homme qui habiterait à mi-chemin du fond de la mer et se figurerait habiter sa surface et, apercevant le soleil et les autres astres à travers cette mer, la prendrait pour le ciel.

Influence pernicieuse de la mer

Quelle est l’origine de cette théorie, nous ne le savons pas [9]. Ce que nous retiendrons seulement ici, c’est que Platon attribue une influence pernicieuse à la mer : elle ronge tout et dans son sein elle ne renferme, à vrai dire, rien qui mérite d’être mentionné et qui atteigne l’état de perfection ; il n’y a, dit Platon, que « des crevasses, du sable, une masse infinie de vase et des lagunes partout où la terre se mêle à la mer ». En somme, pour Platon, la mer avec sa salure est un agent de corruption.

On retrouve une idée analogue dans la République, où Platon parle de Glaucos, le dieu marin, que l’on a peine à reconnaître parce que certaines parties de son corps ont été brisées et d’autres, usées et endommagées par les vagues, tandis que les coquillages, les algues et les cailloux sont venus s’y incruster. Platon en fait l’image de l’âme qui souffre de son union avec le corps : cette fois encore l’idée de mal et de souillure est associée à celle de la mer et de ses effets corrupteurs.

A première vue on pourrait être surpris d’une telle attitude et la trouver étrange chez un Grec. On n’oubliera pas cependant que les Grecs étaient en fait un peuple d’origine continentale qui, une fois installé dans la péninsule hellénique, était devenu un peuple de marins, un peu par curiosité, mais surtout par nécessité. Et encore la remarque n’est-elle pas vraie pour tous les Grecs. De toute façon, il subsistait toujours dans leur esprit un reste de défiance à l’égard de la mer [10], un préjugé qui s’était conservé assez généralement, non seulement dans les cités où prédominait encore uno aristocratie terrienne, mais ailleurs aussi, à Athènes par exemple — bien que cette cité fût devenue une puissance maritime — dans les milieux où les idées de cette aristocratie avaient conservé de leur force.

Origine des poissons

On retrouve quelque chose de cet état d’esprit fait de défiance et d’antipathie pour la mer dans ce passage du Timée où Platon explique l’origine des poissons [11] et des êtres aquatiques. « La quatrième espèce, espèce aquatique, est née des hommes les plus stupides et les plus ignorants ; ceux-là n’étaient même pas dignes de respirer encore Tair pur, d’après les auteurs de leur transformation, car ils avaient une âme impure, qui n’était remplie que de désordres ; mais au lieu de jouir de la respiration légère et pure de l’air, ils ont été enfoncés dans l’eau profonde et trouble. C’est de là qu’est née la race des poissons, des coquillages et de tous les êtres aquatiques, qui, en punition de leur ignorance la plus basse, ont en partage les plus basses demeures. »

Le continent

C’est donc avec dédain que Platon parle de cette terre inférieure entourée par la mer et qui comporte nombre de creux. L’un de ces creux s’étend du Phase aux colonnes d’Héraclès a, ce qui constitue, en somme, l’essentiel du monde connu des anciens Grecs, mais représente peu de choses aux yeux de Platon. Il connaît, en effet, l’existence, au-delà des colonnes d’Héraclès, de la mer Atlantique, qu’il considère comme la mer véritable. « D’un côté, en effet, dit-il, en deçà de ce détroit dont nous parlons, il n’y a visiblement qu’un port avec une entrée étroite ; de l’autre côté, c’est réellement la mer, et la terre qui l’entoure peut être appelée d’une manière parfaitement vraie et exacte un continent. »

Atlantide

C’est là le point de départ d’un développement où la légende se mêle à la géographie et à l’histoire dans une proportion qu’il paraît difficile de déterminer. Platon met, en effet, dans la bouche de Critias l’ancien — qui le tenait de Solon, qui lui-même avait eu pour informateur un prêtre d’Égypte — un récit où est affirmée l’existence dans le passé d’une île, l’Atlantide, siège d’un puissant empire dont la domination s’étendait jusqu’à la Tyrrhénie et à l’Égypte. Nous ne reprendrons pas, après tant d’autres, l’exposé et l’étude des nombreuses questions qui se posent à propos de l’Atlantide [12].

Quoi qu’il en soit, il est probable que Platon s’est fait l’écho d’antiques traditions fondées elles-mêmes sur des faits qui avaient eu lieu réellement : tremblements de terre, cataclysmes et effondrements qui avaient ravagé certaines parties du monde à une époque reculée [13]. L’humanité pouvait avoir conservé le souvenir plus ou moins confus de ces Catastrophes où la mer avait joué le rôle d’agent destructeur, engloutissant les villes et leurs habitants, rôle qu’elle conserve dans le récit mythique du Timée [14]. On remarquera, d’ailleurs, que Platon, tout en se servant de ce récit pour illustrer ses théories politiques, n’est peut-être pas fâché de montrer l’écroulement de cette puissance maritime, qui avait fini par représenter la politique de l’ûêpiç et dont les chefs, oublieux des principes fondamentaux de la vertu, s’étaient laissés aller à l’orgueil et à d’injustes convoitises. Ayant encouru la colère des dieux, l’Atlantide fut châtiée et s’abîma dans les flots en l’espace d’un jour et d’une nuit. Ce récit, au surplus, avait amené Platon à attribuer un rôle glorieux à Athènes, qui, avant que se produisît la catastrophe, avait infligé une défaite aux Atlantes.

Passé de l'Attique

Mais, si Platon s’intéresse aux antiquités mythiques d’Athènes, il s’intéresse aussi à ce qu’on pourrait appeler le passé géographique de l’Attique. D’une façon générale il déplore l’état présent de cette région qui s’est appauvrie et, comparant le pays tel qu’il est maintenant avec ce qu’il était dans les temps anciens, il signale, entre autres choses, que l’Attique s’étend comme un promontoire dans une mer extrêmement profonde, que son sol est pour ainsi dire décharné à la suite de nombreux déluges et devenu semblable à celui des petites îles. Platon ne s’est donc souvenu des îlots de la mer Égée que parce qu’il avait été frappé par leur aspect dénudé et qu’il en avait éprouvé une impression de laideur. Si Platon est un grand artiste, la mer ne l’a guère inspiré.

III. — Comparaisons et métaphore nautiques dans Platon

Cette mer, dont Platon parle en des termes qui font assez apparaître qu’elle ne constitue pas pour lui, dans le monde physique, un élément particulièrement intéressant et dont il montre plutôt l’influence mauvaise, lui a cependant suggéré des comparaisons et des métaphores dont on remarque qu’elles sont assez nombreuses. De ces comparaisons et de ces métaphores, il est permis de distinguer trois sortes.

Procédés de style

Les unes peuvent être considérées comme de simples procédés de style, qu’il s’agisse d’expressions proverbiales reprises par l’auteur ou qu’au contraire elles soient originales et nées de son imagination propre. Dans un cas comme dans l’autre, elles servent seulement à préciser et à illustrer sa pensée.

Quand il veut, par exemple, peindre Socrate à l’aide de comparaisons [15], Platon, dans le Ménon, assimile l’action qu’exerce ce redoutable logicien, qui embarrasse ses interlocuteurs et les rend incapables de répondre, à celle de la torpille marine, qui engourdit quiconque s’approche d’elle et la touche . Telle autre comparaison, qui s’applique à un autre personnage, ne signifie pas que Platon ait eu une connaissance particulièrement approfondie de tel détail précis, mais doit seulement être regardée comme une locution courante empruntée à un domaine qui était familier à nombre d’Athéniens. C’est ainsi que Socrate, qui soupçonne Dionysodore de vouloir l’enfermer dans un raisonnement plein d’astuce, voudrait s’éloigner et fuir, il fait des contorsions comme s’il était déjà pris dans le filet du pêcheur [16].

Dans le Phèdre, le corps et l’âme nous sont présentés liés l’un à l’autre comme l’huître et la coquille, ce qui est une façon de s’exprimer énergique, faisant bien apparaître dans son réalisme brutal la condition misérable de l’âme, et qui au surplus était destinée à être bien comprise d’un public informé des choses de la mer. Ce public ne devait pas être surpris que pour définir le sophiste qui faisait la chasse aux jeunes gens, on eût recours, comme le fait Platon, à des comparaisons comme celle du pêcheur, qu’à ce propos on distinguât la pêche à la nasse et la pêche à la ligne et qu’on parlât non seulement de poissons, mais aussi de nasses, de casiers, de filets, de tridents et d’hameçons, en un mot de tout ce qui se rapportait à la pêche, en employant chaque fois le terme technique.

Le même public, encore, connaissait tout aussi bien la légende, des Sirènes et le Socrate du Phèdre avait des chances de voir goûter ses propos, quand Platon lui faisait comparer les cigales qui « chantaient » sur les bords de l’Ilissos à ces êtres fabuleux qui charmaient les navigateurs passant dans les parages.

Parfois, Platon emprunte une métaphore à la mer pour mieux exprimer l’idée d’agitation et celle de calme ; c’est, en effet, à la mer agitée qu’il compare une vie humaine faite de plaisirs et de peines et sur cette mer l’âme du philosophe, conduite par le raisonnement, établit le calme). Ailleurs, c’est l’idée d’étendue qui suggère la comparaison avec la mer, comparaison ironique, car il s’agit de peindre la manière de Protagoras, qui, tel un navigateur hardi, largue les voiles et, se laissant aller au gré du vent favorable, gagne la "haute mer", de l’"éloquence". La comparaison vient s’ajouter à une autre moins développée, celle du cheval à qui on lâche la bride. De même quand l’Athénien des Lois* s’écrie : « C’est donc dans le problème de l’origine de la législation que nous voilà comme embarqués à notre insu », il fait ressortir à la fois l’étendue et la complexité de ce problème que Platon traite sans l’épuiser dans son ouvrage. On voit aussi que pour donner une idée du domaine du beau et montrer qu’il est immense, Platon le compare à un océan.

Association à la difficulté et au danger

Dans d’autres passages, assez nombreux, la mer est associée à l’idée de difficulté et de danger. Ainsi, au riloment d’aborder dans la République la question de la possession et de l’éducation des femmes et des enfants, Socrate hésite. Il songe alors à l’homme qui plonge, dans une piscine ou au milieu de la hautomer, et se met alors à nager. « Il faut donc, dit-il, nous mettre à nager nous aussi et tâcher de nous sauver du danger que comporte cette discussion ... » Pour essayer, dans une autre discussion, d’arriver à une définition du courage, le Socrate du Lâche pense à ceux qui osent affronter les dangers de la mer. Ce n’est peut-être pas là une simple « formule littéraire », mais le rapprochement prend toute sa valeur quand on remarque que Socrate envisage également, pour y voir un mérite égal, le cas de ceux qui se distinguent à terre, sur le champ de bataille.

Afin de montrer que souvent les hommes veulent non pas précisément ce qu’ils font, mais ce en vue de quoi ils le font, Platon prend entre autres exemples celui du commerce par mer. Ce que l’on cherche ce n’est pas le fait de prendre la mer — ce n’est là qu’un moyen — mais le profit qu’on en tire : telle est, en effet, la fin véritable que l’on se propose. Aucun exemple ne pouvait plus facilement être compris à Athènes où avec les progrès de la navigation le commerce maritime avait atteint à cette époque un grand développement. Plus loin, dans le même dialogue, Platon cite le fait de naviguer comme une des choses qui participent parfois au bien et parfois au mal. Robin s’étonne du choix de cet exemple après ce que l’auteur a dit au début de 467 d. Nous ne croyons pas quant à nous qu’il y ait lieu de s’étonner : la navigation participe à la fois au bien — ou du moins à ce que les hommes considèrent comme tel — puisqu’elle permet de s’enrichir, et au mal, à cause des dangers qu’elle présente. Il faut croire que Platon pensait assez souvent à ces dangers, qu’il avait d’ailleurs personnellement connus, puisque, quand il évoque les circonstances les plus difficiles qui peuvent se présenter dans la vie, il parle non seulement d’une expédition militaire et d’une maladie, mais aussi d’une traversée et qu’il se sert du même mot, xeLfxàÇecrOaL, pour désigner l’état de ceux qui se trouvent en péril dans ces différentes situations ®. C’est encore ce mot que Platon applique à deux interlocuteurs qui se sentent ballottés, pour ainsi dire, par les difficultés d’une discussion, pour savoir si l’univers est régi par le hasard ou par une volonté intelligente.

Un des personnages du Phédon, Simmias, met en parallèle la vie humaine et une traversée qui naturellement comporte des dangers et il compare certaines conceptions relatives à la nature et à la destinée de l’âme à un radeau sur lequel on se risque à faire cette traversée de la vie, faute de pouvoir le faire avec plus de sécurité, c’est-à-dire faute d’être en possession de la vérité grâce à une révélation divine. La même métaphore nautique est reprise plus loin au cours de la discussion. Socrate, cherchant une cause universelle qui fût une explication du monde et de la vie, a été déçu par les théories d’Anaxagore. Il propose alors à Cébès de lui exposer ce qu’il appelle le SeÛTepoç tcXoüç, la seconde navigation qu’il a entreprise pour découvrir cette cause. Cette fois encore, la comparaison avec la navigation suggère l’idée d’une difficulté à surmonter. En tout cas, on comprend que, lorsque Socrate va faire de nouveau un développement sur les Idées, qui sont les causes véritables, et qu’il déclare iraXiv èn’ éxeïva rà KoXuOpûXiqTa, Robin traduise : « me voilà de nouveau « embarqué » dans ces assertions cent fois ressassées ».

C’est encore de navigation de remplacement que parle Platon, quand, après avoir affirmé la supériorité du système où tout repose sur la science du chef, science qui confère tous les droits à celui qui la possède, il reconnaît qu’il faut, dans la pratique, se contenter d’un système qui constitue un moindre mal, celui qui repose sur des lois ; dans ce cas, il ne faut jamais permettre à personne d’enfreindre ces lois. Platon avait parlé un peu plus haut d’un second principe, 8eÛTepov, principe de remplacement. Maintenant il use d’une expression imagée, qui revêt une importance toute particulière, car elle se trouve employée à un tnoment où se précise un changement dans la pensée de Platon théoricien politique, au moment où il renonce à voir se réaliser son idéal d’un monarque parfait, et où il admet comme un pis-aller un régime essentiellement fondé sur le respect des lois. L’image est d’autant mieux amenée que Platon considère le monarque parfait comme un pilote que l’on accueillerait avec joie pour lui confier la direction de l’État, si toutefois il se présentait ; « il administrerait et gouvernerait dans le bonheur le seul État qui soit d’une rectitude parfaite ». Mais, précisément parce qu’on ne croit pas que ce pilote existe, on se résigne à « naviguer » selon des lois. La même métaphore est employée dans le Philèbe, où Protarque dit à Socrate que si pour le sage il est beau de connaître absolument tout, après cela il existe un Seurepoc kXoûç qui consiste à ne pas s’ignorer soi-même.

L’idée de difficulté reparaît fortement exprimée par une autre métaphore nautique, quand, dans la République, Platon expose sa conception de la femme du gardien, qui doit, comme le gardien lui-même, être à la fois philosophe et guerrière et doit s’exercer à la gymnastique, dépouillée de tout vêtement, sa vertu lui en tenant lieu. En faisant cet exposé, qui établit une complète égalité d’occupations entre les hommes et les femmes de la classe dirigeante, Socrate a le sentiment de courir un danger : c’est comme s’il risquait d’être submergé par une vague. C’est une autre vague plus grosse et plus redoutable qui le menace quand il pose le principe de la communauté des femmes et des enfants. Socrate sait, en effet, que ses propositions sont de nature à heurter les principes et les habitudes des Grecs : elles ne tendent à rien d’autre qu’à modifier totalement l’organisation traditionnelle de la famille. C’est encore une vague, la plus dure et la plus dangereuse de toutes, que le Socrate de la République doit affronter quand il affirme qu’il faut confier le gouvernement de l’État aux philosophes parce qu’ils sont les plus dignes et les plus capables de l’exercer. Cette fois aussi, en effet, Platon se heurte à des objections, car il va à l’encontre des idées reçues et c’est pourquoi il lui faut définir avec beaucoup de soin son philosophe gouvernant et expliquer pourquoi dans l’État imparfait le philosophe est déconsidéré.

Il existe maintenant une seconde catégorie de métaphores et de comparaisons nautiques qui présentent une valeur plus particulière et plus précise, en ce sens qu’elles servent à exprimer l’idée de la nécessité de la compétence dans tous les domaines. C’est là, en effet, une idée chère à Platon qui considère comme la règle fondamentale, dans toutes les manifestations de l’activité humaine, que l’œuvre à accomplir soit confiée au spécialiste, à l’homme compétent [17].

Or, le domaine de la mer est un domaine auquel Platon semble songer volontiers comme à l’un de ceux où s’affirme le mieux la nécessité de connaissances spéciales. Chaque art, chaque ordre d’activité a un objet qui lui est propre. La construction des navires a le sien. C’est faute de connaître cet art qu’Alcibiade s’abstiendra de donner son avis dans l’Assemblée du peuple quand il s’agira de décider quels navires doivent être mis en chantier. La même remarque vaut pour tous les arts, la médecine ou l’art de conduire les chevaux, par exemple, et tout naturellement aussi pour la navigation. En matière de navigation comme en toute autre matière, l’emploi d’un outillage approprié apparaît comme indispensable. Ainsi, quand Platon compare ce que l’on fait volontairement et ce que l’on fait involontairement et qu’il développe cette idée qu’il vaut mieux avoir des instruments avec lesquels on obtient de mauvais résultats parce qu’on le veut, que des instruments avec lesquels on obtient les mêmes résultats malgré soi, il prend l’exemple du gouvernail aussi bien que celui de l’arc, de la lyre et de la flûte.

Platon, d’ailleurs, s’intéresse aux instruments de navigation autant qu’aux autres outils. Quand Socrate, dans VHippias majeur, se met avec son interlocuteur à la recherche d’une définition du beau et propose celle-ci : le beau c’est l’utile, il prend comme exemple tous les instruments et tous les moyens de transport et parmi eux ceux qui servent sur mer, navires de charge et navires de guerre. Platon précise, à ce propos, sa pensée sur les compétences de chacun, en disant que celui qui est le mieux à même de juger la valeur d’un objet c’est non pas celui qui le fabrique, mais celui qui en fait usage. Ainsi le constructeur de navires travaille, mais c’est le pilote qui se sert de son travail et qui, par conséquent, est le seul capable de l’apprécier. Donc, quand un charpentier fait un gouvernail, si l’on veut que ce gouvernail soit bon, il faut que ce charpentier travaille sous la direction d’un pilote.

Mais, surtout, Platon pense à la mer quand il veut montrer, à l’aide d’exemples précis, l’importance du spécialiste, du technicien et prouver qu’il faut avoir recours à ce dernier pour que l’ouvrage soit bien fait. Un pilote est un spécialiste. C’est lui qui, sur mer, est le plus capable de faire du bien à ses amis et du mal à ses ennemis [18]. C’est lui, et non pas le rhapsode, qui sait le langage qu’il faut tenir quand le navire est battu par la tempête . Platon aime bien que chacun reste à sa place sans prétendre abusivement à une compétence qu’il n’a point. Ainsi, c’est un combat sur mer qui, par l’exemple qu’il fournit, permet à Lâchés, dans le dialogue qui porte son nom, d’affirmer que les hoplomaques, ces spécialistes de l’escrime qui brillent dans les parades, où ils attirent de grandes foules, sont des gens sans valeur.

Il y a deux catégories de gens que Platon n’aime pas — parce que ce sont de faux politiques et qu’ils s’érigent en concurrents des philosophes — ce sont les orateurs et les sophistes, et son aversion à leur égard est d’autant plus grande qu’il les voit posséder une grande influence dans la cité. Il n’est donc pas fâché de pouvoir les rabaisser en les opposant, eux qui sont des touche-à-tout, et souvent malfaisants, aux spécialistes, aux gens compétents. Ainsi, pour humilier Calliclès, Socrate affirme l’utilité de la natation qui sauve les gens de la mort et l’utilité plus grande encore de la conduite des navires. Et, cependant, ceux qui exercent ces arts et dont le mérite est indéniable restent modestes et ne prennent pas l’air important comme le sophiste et le rhéteur. Ailleurs encore B, Platon exprime cette idée du recours nécessaire à l’homme compétent, en empruntant à la marine un exemple, et qui a la valeur d’un argument. Dans le cas, dit-il, où les citoyens s’assemblent pour choisir un constructeur de navires, ce n’est pas à l’orateur qu’il appartient de donner son avis, car « il est évident que dans chaque choix c’est le plus habile dans son métier qu’il faut choisir ». De même, s’il s’agit d’aménager des ports ou des arsenaux pour la marine, c’est aux constructeurs de donner leur avis.

L’opposition entre le spécialiste et le politicien à la Calliclès ressort très bien également quand Platon rappelle que le premier peut citer, par exemple, les arsenaux qu’il a construits et les maîtres qu’il a eus, alors que le second serait incapable de dire qui il a rendu meilleur. Dans un autre dialogue , Platon affirme que les Athéniens — et il les loue de leur conduite — quand il s’agit de construction de navires, font appel dans leur assemblée à des constructeurs de navires : à ses yeux, c’est la bonne règle.

Assurément, Platon est obligé de reconnaître qu’elle n’est pas toujours appliquée, loin de là, dans les cités imparfaites, mais c’est précisément ce dont il leur fait grief, c’est là un des traits qui révèlent leur imperfection. On voit alors l’armateur, au lieu de s’en tenir à donner des avis en matière de construction navale, intervenir dans des délibérations de caractère purement politique. De même Gorgias peut faire remarquer à Socrate que ce n’est pas à des professionnels que les Athéniens doivent leurs arsenaux et l’aménagement de leurs ports, mais aux avis de Thémistocle et à ceux de Périclès. C’est là un état de fait ; Platon doit le reconnaître, mais il manifeste sa désapprobation. Dans l'Alcibiade Socrate amène son interlocuteur à déclarer qu’en cas de voyage sur mer il s’en remettrait pour la manœuvre de la barre au pilote, qui possède les connaissances techniques requises, parce qu’en toute matière on doit se fier à l’homme compétent, cet homme dont il faut savoir reconnaître la supériorité, quand il s’agit, par exemple, d’une tempête en mer[19]. La navigation, au même titre que l’équitation, est donc affaire de spécialiste. Quand on veut se perfectionner dans l’une ou dans l’autre de ces matières, celui à qui il faut s’adresser c’est celui qui s’y connaît, le professionnel ; c’est auprès du navigateur qu’on peut acquérir les connaissances nécessaires à l’art nautique, lui seul est capable de les enseigner . Chaque spécialiste a de la valeur dans la mesure où il sait tout ce qui se rapporte à son art : le céleuste lui-même tire sa valeur des connaissances qu’il a pour commander des rameurs. Il existe un art de conduire un navire, et le pilote qui l’exerce est un homme de bon conseil, car il est seul à posséder la science nécessaire pour assurer la sécurité de ceux qui font la traversée avec lui.

Tout ce qui a trait à la navigation fournit par conséquent à Platon des exemples qui illustrent sa thèse de la compétence indispensable dans toutes les sortes d’activités. Pour Platon le pouvoir, l’autorité ne trouvent leur justification et leur fondement véritable que dans le savoir de celui qui les exerce : quand ils ne s’accompagnent pas de compétence, ils ne peuvent donner que de mauvais résultats. Qu’adviendrait-il d’un navire où commanderait un homme disposant d’un pouvoir absolu, mais dépourvu à la fois de raison et de connaissances nautiques? Quel serait le sort de cet homme et de ses compagnons de navigation? Alcibiade, à qui Socrate pose la question, ne fait pas de difficultés pour reconnaître qu’ils périraient tous. Ce n’est pas seulement le commerce maritime, c’est encore la guerre navale qui permet à Platon de montrer d’une façon concrète quelles sont les conditions nécessaires à la réussite d’une entreprise. Le bon commandant de trière n’est pas celui qui se contente d’être supérieur à son équipage, c’est celui qui est, en outre, supérieur aux commandants des trières ennemies.

Platon aime le travail bien fait. En bon socratique il a horreur des improvisateurs et des charlatans. Quand il songe à eux, il évoque le cas de celui qui se prétendrait pilote alors qu’il ne l’est pas. Cette image, qui est celle du désordre résultant de l’imposture, lui vient naturellement à l’esprit, aussi naturellement que celle du soi-disant médecin ou du soi-disant général. Seule, la sagesse, si elle gouvernait les hommes, mettrait fin à de pareilles usurpations. En tout cas, le savoir constitue toujours une bonne chose et, quand Platon entreprend de le montrer, il choisit entre autres exemples celui de la navigation : ceux qui ont les meilleures chances d’échapper aux dangers de la mer, ce sont les pilotes capables, c’est-à-dire ceux qui possèdent le savoir voulu en fait de conduite d’un navire.

Si vif toutefois que soit son désir de voir partout le spécialiste exercer son activité et si grande que puisse être la considération qu’il a pour lui, Platon ne va pas toutefois jusqu’à croire que ce spécialiste, par le seul fait qu’il est le spécialiste, soit toujours capable de mener à bien toutes les entreprises dont on l’a chargé. Il faut compter parfois avec une défaillance de la force physique de l’homme et Platon en donne pour preuve le commandant de navire qui a beau connaître son art et n’en est pas moins incapable de bien commander, s’il a le mal de mer. L’homme peut également être victime de son intempérance et Platon pense que l’ivresse du pilote risque d’avoir les plus graves conséquences pour le navire. D’autre part, la volonté humaine a des limites et il lui arrive de rencontrer des difficultés qu’elle ne peut pas surmonter, même si elle s’accompagne de savoir. C’est alors l’image du pilote qui s’offre encore à l’esprit de Platon, du pilote qui est abattu quand la tempête, contre laquelle il ne peut rien, fond sur le navire, tout comme est abattu le cultivateur qui ne peut rien contre le mauvais temps, ou le médecin qui ne peut vaincre la maladie.

En somme, Platon ne croit pas que le savoir du spécialiste soit une condition suffisante du succès, mais il y voit tout au moins une condition nécessaire pour que l’œuvre accomplie soit aussi bonne que possible, pour qu’elle réalise cet ordre et cet arrangement qu’il faut trouver dans toute œuvre d’art et qui fait la valeur de cette œuvre. Il cite alors l’exemple de tous les professionnels, avec une mention spéciale pour les constructeurs de navires aussi bien que pour les peintres et les architectes. Et Platon continue par un développement sur la nécessité de l’ordre dans l’âme aussi bien que dans le corps.

En vrai philosophe, Platon n’a voulu négliger aucune des formes de l’activité humaine, il a essayé de les comprendre et il leur a demandé de lui fournir, à l’occasion, des exemples qui fussent comme autant d’arguments en faveur de ses théories. Nous avons la preuve qu’il s’est intéressé à la navigation et, d’une façon générale, à tout ce qui se rapporte à la mer, autant qu’à la pratique des autres arts. Quand son imagination se plaît à se représenter une société organisée selon la justice — et il entend par là une société où l’activité de chacun donne d’heureux résultats parce qu’elle est conforme à son savoir propre, où chacun a les attributions qui correspondent le mieux à ses capacités, où les amateurs prétentieux et incapables n’usurpent point les fonctions des professionnels authentiques — alors, dans cette société, qui est la société parfaite, Platon fait au commandant de navire, au pilote, au constructeur de vaisseaux la place qui leur revient, comme il en fait une au général et au médecin. Cependant, si Platon apprécie toutes les connaissances spéciales, cela ne signifie point qu’il va jusqu’à les mettre toutes sur le même plan, leur accordant une dignité égale. Celles qui se rapportent à des xé/vai, à des métiers, sont tenues par lui pour des connaissances moins importantes, car les vé/vai elles-mêmes sont jugées par Platon comme des formes d’activité inférieures. Ceux qui les exercent sont rangés dans la dernière classe des citoyens de la République, au-dessous par conséquent des gardiens et des guerriers.

Si Platon est loin de faire fi des connaissances spéciales, il met bien au-dessus la science suprême, la sagesse, qui est le savoir des savoirs, la science du bien et du mal, qui s’identifie pour lui à la politique. En l’absence de cette sagesse, l’homme ne saurait être heureux ; les techniques particulières, même appliquées avec succès, ne sont pas capables de lui donner le bonheur et, pas plus qu’un autre, l’art de conduire les navires, si utile soit-il pour nous. On comprend que Platon ait pu comparer Dieu, principe de toute sagesse et inspirateur de toute politique, au pilote d’un navire : quand il abandonne le gouvernement et se retire dans le poste de pilotage, l’univers fait marche arrière. Quand, au contraire, Dieu, à la vue des dangers que court l’univers, veut empêcher le navire de se disloquer sous les assauts de la tempête, il reprend sa place à la barre et le navire poursuit sa marche dans l’ordre.

Cela étant, c’était, de la part de Platon, faire beaucoup pour la dignité de la navigation et lui reconnaître une importance toute particulière que d’assimiler cet art à la conduite de la cité. C’est ce que nous montre une troisième catégorie de comparaisons et de métaphores nautiques qui reviennent plusieurs fois dans son œuvre.

Ainsi, dans la République, Platon développe cette thèse générale que toute autorité véritable s’exerce au profit non de ceux qui la détiennent, mais de ceux qui lui sont soumis. C’est le devoir de tout chef, de tout gouvernant digne de ce nom, de chercher non pas son intérêt propre, mais celui le ses subordonnés[20]. Pour justifier cette thèse, Platon se sert de l'exemple du pilote : il commande les matelots, mais, dans les ordres qu’il leur donne, il se propose non ce qui lui est profitable, mais ce qui l’est à l’équipage. C’est dans ce sens qu’on peut parler de l’utilité que présente l’art de conduire un navire, art qui assure la sécurité de la navigation.

Platon pense que les membres d’une société sont liés entre eux par une communauté d’intérêts et qu’il découle de ce fait un devoir : ils se doivent la vérité et surtout ils la doivent à leurs chefs. C’est une faute pour un marin de l’équipage de mentir au capitaine à propos de sa conduite ou de celle de ses camarades. Il en est de même quand il s’agit de F État et Platon pose ce principe fondamental que tout citoyen surpris à mentir sera puni « comme introduisant une pratique de nature à renverser et à perdre la cité comme un vaisseau ». Ainsi donc la navigation, autant que la médecine et la gymnastique, permet à Platon de préciser une des obligations essentielles, inhérentes, pour ainsi dire, à la qualité de citoyen. Il existe, pour lui, certains points communs à un navire et à l’État et les principes qui valent pour la direction de l’un valent aussi pour la direction de l’autre. En particulier, un État, comme un navire, comme aussi bien tout être vivant quelconque, doit garder sa cohésion et il faut y veiller avec d’autant plus de soin que les occasions de perdre cette cohésion indispensable sont multiples. Le précepte est intéressant en soi, mais il l’est encore parce que Platon montre à ce propos qu’il a su observer certains détails de la construction navale : il parle des Ù7toÇ6(xaTa ou bandages qui entourent le flanc des trières [21].

C’est encore à la navigation qu’il emprunte une comparaison destinée à donner une idée de la manière dont sont gouvernés les États démocratiques et à expliquer le traitement qui y est réservé au philosophe. Il est visible que Platon apporte beaucoup de malice à cette comparaison et il n’est pas fâché de pouvoir dire aux Athéniens que leur cité est comme un navire qui marche d’une façon tout à fait singulière. Mais, aussi, le procédé auquel il a recours est-il de nature à les toucher davantage et — Platon l’espère — de nature à accroître les chances de les convaincre. N’y a-t-il pas paradoxe, en effet, à appliquer à la conduite de l’État des principes qui paraîtraient insensés si on les appliquait à la conduite d’un navire? Comment les Athéniens, si soucieux de leurs navires, peuvent-ils être aussi sots en matière de politique?

Est-il raisonnable que le commandement soit un sujet de dispute entre les matelots? qu’ils aient assez d’outrecuidance et d’inconscience pour croire que l’autorité leur revient malgré leur manque de compétence? qu’ils aillent jusqu’à, nier que la science de la navigation s’enseigne? qu’ils assiègent le propriétaire du navire pour se faire remettre la barre? qu’ils fassent périr ceux qui ont réussi à le convaincre? qu’ils mettent le navire au pillage pour faire bombance? « Pour ce qui est du véritable pilote, dit Socrate à Adi-mante, ils ne comprennent même pas qu’il est nécessaire pour lui de donner son attention au temps, aux saisons, au ciel, aux astres, aux vents et à tout ce qui se rapporte à son art, s’il veut réellement être habile à diriger un navire. Quant à la manière de gouverner, que ce soit ou non avec l’assentiment de telle ou telle partie de l’équipage, ils ne pensent pas qu’il soit possible de l’apprendre ni par la théorie, ni par la pratique, et en même temps l’art du pilotage. Eh bien, quand de tels faits se produisent sur les navires, ne crois-tu pas que le véritable pilote sera traité réellement de bayeur aux corneilles, de bavard et d’inutile par l’équipage de navires ainsi montés ? »

Que dire d’un navire qui offrait un tel spectacle de désordre et d’anarchie? N’y avait-il pas là de quoi piquer les Athéniens qui étaient si fiers de leur marine ? qui savaient combien sur mer la discipline est nécessaire et qui maintenant se voyaient comparés à un équipage révolté et plein de mépris pour les connaissances indispensables en matière de navigation ?

Remarquons, au surplus, que ce n’est pas le seul régime démocratique qui suggère à Platon une comparaison tirée de la navigation, c’est aussi l’oligarchie, et, pour faire apparaître combien ce régime est contraire à la raison, Platon suppose un navire où le pilotage serait réservé non à la compétence, mais à la richesse.

Opposition aux régimes imparfaits

La mer et la navigation ont fourni d’autres fois encore à Platon des armes pour combattre les régimes imparfaits. Dans le Politique, il fait l’éloge du gouvernement qui se fonde non sur les lois, mais sur le savoir de l’homme qui détient le pouvoir : c’est là, dit-il, le régime de droite nature, 6p07) noXireia. Pour faire ressortir l’excellence de ce régime, il use de la comparaison avec le pilote qui « veille toujours au bien du navire et des matelots, et sans écrire des règles, mais en proposant son art pour loi, sauve ceux qui naviguent avec lui ». Le « véritable pilote » qui dirige un navire est bien, aux yeux de Platon, le type du spécialiste dont l’autorité a un fondement légitime parce qu’elle repose sur le savoir : c’est une des images dont Platon se sert pour peindre le chef capable et digne de régner.

Nous savons que Platon a fini, sinon par renoncer à son idéal, du moins par accepter un système politique fondé sur le principe de la prédominance de la loi. Mais il s’y est résigné comme à un pis-aller. C’est faute de pouvoir faire mieux qu’il s’est contenté de ce qu’il nommait une navigation de remplacement. Il entend cependant qu’une fois le pis-aller accepté, on ne se laisse pas aller à l’exagération, à l’66piç. Si l’on admet que la loi doit être toute-puissante, encore faut-il que par elle-même elle possède une valeur et une dignité qui forcent, en quelque sorte, l’obéissance. Encore faut-il qu’elle ne soit pas l’œuvre de gens incapables et dénués de raison, qu’elle ait été instituée à la suite d’une ample expérience, d’après des conseils donnés de bon cœur par des gens qui ont usé de persuasion. C’est à cette condition que Platon peut s’accommoder de ce régime politique ; il lui faut au moins cette garantie.

Aussi tient-il à montrer toute l’absurdité du système quand il est poussé jusqu’à ses conséquences extrêmes, et, pour y arriver, il emploie encore une de ces images qu’il affectionne 4. Il suppose que pour lutter contre les fourberies et les méfaits du capitaine du navire — autrement dit dans l’hypothèse d’un mauvais gouvernant — les gens s’assemblent. Il y en a parmi eux qui sont dépourvus de toute compétence en matière de navigation, mais ils n’en donnent pas moins leur avis, tout comme les spécialistes, sur la navigation, « sur la manœuvre des navires, sur les instruments nautiques, sur les dangers que présentent pour la traversée elle-même les vents, la mer et la rencontre de pirates et sur le combat naval, au cas où il faudra lutter avec les vaisseaux longs contre d’autres vaisseaux du même genre ». Les décisions de ces gens-là deviennent des lois et il faut désormais s’y conformer pour les voyages en mer sous peine de sanctions. C’est là vraiment un état de choses déconcertant, mais nous ne sommes pas encore au comble de l’absurdité. Ce comble est atteint lorsqu’interdiction est faite de se livrer à des recherches sur l’art de conduire un navire et sur la pratique de la navigation à l’encontre de ces règles écrites. Le résultat serait la ruine de la navigation et l’impossibilité de sa renaissance et il en serait de même pour tous les arts auxquels le système serait appliqué.

La navigation a donc servi à Platon en ce sens qu’elle lui a permis de prouver combien peut être illogique et malfaisant le régime qui consacre la primauté de la loi au détriment de la science. Pour qu’on ne s’y trompe pas, Platon montre bien, tout en poussant sa comparaison, qu’il s’agit essentiellement pour lui de condamner le régime politique d’Athènes. L’assemblée des soi-disant marins, telle l’Ecclésia, comprend en fait des gens de tous les métiers ; les lois sont ce que cette foule a décidé ; elles sont gravées sur des colonnes ou sur des stèles ; ceux qui gouvernent conformément à ces lois ont un pouvoir annuel ; à leur sortie de charge, ils rendent des comptes à des tribunaux dont les membres ont été tirés au sort et ils peuvent être accusés de ne s’être pas conformés aux règles écrites : n’y a-t-il pas là autant de points qui rappellent quelques-unes des institutions les plus caractéristiques d’Athènes?

Assurément, il est possible d’appliquer ce que dit Platon à une cité oligarchique : cette assemblée où les gens incompétents donnent leur avis sur la navigation peut ne comprendre que des riches : c’est parmi les riches que peuvent être pris les magistrats annuels et aussi les membres du tribunal chargé d’examiner la gestion des magistrats ; mais ce n’est pas sur ces détails que l’auteur insiste et l’essentiel de sa comparaison est de nature à évoquer surtout l’Athènes démocratique. C’est bien elle qui offre l’image d’un navire où les hommes agissent et les choses se passent en dépit du bon sens, où règnent l’indiscipline et l’anarchie.

IV. — La mer et la marine dans l’histoire et la politique d'Athènes, d'après Platon

Platon devait être amené d’une façon d’autant plus naturelle à évoquer un navire à propos d’Athènes qu’il savait bien tout ce que la mer et la marine représentaient aux yeux des Athéniens, comme aussi l’importance du rôle joué par elles dans l’histoire d’Athènes.

Il est bien certain que Platon regrette le temps où l’Attique était uniquement un pays d’agriculture : il évoque ces plaines et ces collines d’une terre grasse, ces cultures qui faisaient la richesse de la contrée. Quand il parle des forêts d’autrefois, c’est pour dire qu’elles fournissaient la charpente des plus grands édifices. Dans la suite les choses ont changé. « Minos, dit Platon, soumit un jour les habitants de l’Attique au payement d’un tribut douloureux, parce qu’il possédait une grande puissance sur mer, tandis qu’eux ne possédaient pas encore, comme maintenant, des vaisseaux de guerre, ni non plus un pays riche en bois de construction pour équiper facilement une force navale ; ils ne purent donc pas, par l’imitation de la science navale de l’ennemi, devenir alors tout de suite eux-mêmes des marins et le repousser. »

Mais, alors que la tradition athénienne célébrait l’exploit de Thésée vainqueur du Minotaure, Platon en juge tout autrement. « Il aurait mieux valu pour les Athéniens perdre encore plusieurs fois sept de leurs enfants, plutôt que de devenir, d’hoplites qu’ils étaient, combattant à pied sur terre, des marins qui partent fréquemment, reviennent tout de suite au pas de course vers leurs navires ; plutôt que de s’imaginer qu’il n’est nullement honteux de ne pas avoir le courage de se faire tuer sur place quand l’ennemi attaque, et de tenir toutes prêtes des excuses spécieuses pour le moment où ils abandonnent leurs armes et fuient de ces fuites qui, disent-ils, n’ont rien de déshonorant. » C’est donc un mal que les Athéniens, ayant imité les Crétois, aient été en mesure de leur résister victorieusement.

Platon constate, pour s’en affliger, qu’Athènes a vu se modifier l’esprit et les mœurs de ses habitants, à qui elle a laissé prendre, selon lui, des habitudes perverses. Là-dessus, lui, qui ne dédaigne pas de recourir à l’autorité d’Homère quand il y trouve des arguments favorables à ses théories, cite quelques vers du « grand poète » pour montrer que la présence de vaisseaux conduit les combattants à des pratiques sans honneur, émrTjSevpia où xaX«Sv, par la tentation qui s’offre à eux de trouver leur salut dans la fuite. Sans doute on peut obtenir le succès grâce à une victoire navale, mais il s’agit d’un succès de mauvais aloi et dont Platon est loin de se réjouir. « Les cités qui doivent à leur flotte leur puissance et en même temps leur salut accordent des récompenses à la catégorie de combattants qui n’est pas la meilleure ; c’est, en effet, grâce à l’habileté du pilote, à celle du maître d’équipage, à celle des rameurs et de gens de toute sorte, peu recommandables, que la victoire a été obtenue et on ne saurait accorder correctement de récompenses à chacun d’eux. Et pourtant comment un régime convenable pourrait-il subsister, privé de cette faculté »

Aussi bien la transformation économique qui a fait d’Athènes, capitale d’un pays agricole, un État maritime et qui s’est manifestée d’une manière si fâcheuse dans l’ordre moral a-t-elle été accompagnée d’une autre transformation politique et sociale, au terme de laquelle la cité aristocratique est devenue une cité démocratique. Platon le sait et le déplore et si, dans la République, le tableau qu’il a fait de l’établissement du régime démocratique ne correspond pas trait pour trait à ce qui s’était passé à Athènes, du moins certains détails ont-ils pu lui être inspirés par l’histoire de cette cité. Ainsi Platon explique que ce qui favorise le passage à la démocratie c’est le mépris que les pauvres finissent par éprouver à l’égard des riches quand ces derniers laissent se révéler leur faiblesse réelle, qui est le résultat d’une vie de luxe et de mollesse ; or, parmi les circonstances qui permettent aux pauvres d’observer les riches de plus près et de les voir tels qu’ils sont, Platon cite une de ces campagnes sur mer que les Athéniens entreprenaient si souvent.

Platon, qui tenait la démocratie pour un régime mauvais, ne pouvait voir d’un œil favorable cette marine qui était l’objet de tous les soins de l’Athènes démocratique. Il savait tout le prix qu’Athènes attachait à ses vaisseaux de guerre, à ses arsenaux et à sa flotte de commerce [22]. Il savait combien les Athéniens célébraient les exploits que leur marine avait accomplis, conscients qu’ils étaient de la place qu’elle avait assurée à la cité dans le monde grec. Il savait, en particulier, combien ils aimaient à rappeler la part qu’ils avaient prise aux opérations navales des guerres médiques.

Dans cette parodie qu’est le Ménexène — une parodie dont l’auteur s’est tellement mis à la place du personnage qu’il fait parler qu’on finit par se demander s’il ne s’est pas un peu laissé prendre au jeu — Platon a bien senti qu’il ne pouvait pas, sous peine de manquer à la vraisemblance, ne pas mettre dans la bouche de l’orateur qui est censé prononcer l’èTctTàcpioç une évocation des gloires navales d’Athènes et ne pas accorder un certain développement aux victoires de l’Artémision et de Salamine. On peut évidemment remarquer que le Ménexène ne donne aux vainqueurs de ces deux batailles que le second prix, le premier étant attribué à ceux de Marathon, qui ont donné l’exemple4. Il souligne néanmoins le fait que c’étaient là les premières victoires navales remportées par les Grecs, à un moment où les Perses passaient pour imbattables sur mer, à cause de leur nombre, de leur richesse, de leur science et de leur force. Ces victoires, outre leurs conséquences immédiates, avaient eu la valeur d’une leçon : elles avaient mis fin à la crainte que la flotte perse avait inspirée aux Grecs.

L’auteur du Ménexène n’oublie pas la victoire navale de l’Eury-médon et l’expédition de Chypre ; il rappelle même l’expédition d’Égypte, qu’il semble prendre pour un succès, ce qui ne laisse pas de surprendre •. Quand il parle de la guerre du Péloponnèse, il mentionne la victoire navale de Sphactérie et le traitement humain réservé par les Athéniens aux Lacédémoniens faits prisonniers dans la bataille x. Il explique l’échec de l’expédition de Sicile par la longueur de la navigation qui ne permit pas aux Athéniens d’envoyer les secours voulus à leur armée en difficulté. Il évoque le souvenir de ceux qui tombèrent dans les batailles navales de l’Hellespont, à Abydos et à Cyzique, « après avoir en un seul jour pris tous les navires de l’ennemi et en avoir vaincu beaucoup d’autres». Il exalte la valeur que les Athéniens déployèrent aux Arginuses. Il reproche aux Grecs leur ingratitude, car ils ont dépouillé Athènes de ces vaisseaux auxquels ils avaient dû leur salut. Il célèbre la reconstitution de la flotte athénienne en même temps que la reconstruction des Longs Murs. Il signale que la paix d’Antalcidas laissa à Athènes ses vaisseaux et il termine la partie « parénétique » du discours par un rappel des victoires navales remportées sur les Lacédémoniens.

Le Ménexène prouve à quel point Platon connaissait les sentiments et les idées de ses concitoyens sur la question de la marine et de la guerre navale, mais lui-même était loin de les partager et c’est ce que nous indique bien le Gorgias. Dans ce dialogue, en effet, Calliclès fait l’éloge des grands hommes d’État athéniens, tels que Miltiade, Thémistocle, Cimon et Périclès, mais Socrate répond en condamnant leur politique. « Des navires, des remparts, des arsenaux et bien d’autres choses du même genre, moi aussi je reconnais avec toi qu’ils ont été plus habiles que nos contemporains à en procurer à la cité. » Mais, ajoute-t-il, « tu loues des gens qui ont régalé les Athéniens en leur servant ce qu’ils désiraient et on prétend qu’ils ont fait la grandeur de la cité ; mais elle se gonfle ; c’est un abcès qu’ils ont causé et on ne s’en aperçoit pas. C’est, en effet, sans souci de la sagesse et de la justice, qu’avec des ports, des arsenaux, des remparts, des tributs et d’autres bagatelles du même genre ils ont gorgé la cité ». En fait Athènes en est malade et elle risque d’en mourir.

Ce que Platon condamne, par conséquent, c’est la politique impérialiste qui accompagne le développement maritime d’Athènes et l’expansion de son commerce, politique que Platon oppose à ce qui est pour lui la vraie politique, celle qui vise à rendre les hommes meilleurs, à établir et à maintenir la justice, qui constitue pour un État la seule vraie grandeur. C’est précisément parce que les victoires navales qu’elle avait remportées au cours des guerres médiques avaient, en quelque sorte, permis à Athènes de prendre conscience de sa vocation maritime et qu’en autorisant toutes ses espérances sur mer elles avaient été le point de départ de son empire, c’est pour cette raison que Platon ne pouvait pas glorifier ces victoires sans réticence. Il ne pouvait pas s’empêcher de songer aux suites et, d’après lui, elles n’étaient pas des plus heureuses.

Cela, il ne pouvait pas le dire dans le Ménexène et on a vu qu’il se contentait habilement de ne décerner que le second prix aux vainqueurs de l’Artémision et à ceux de Salamine, mais quand il lui est permis de s’exprimer librement, sans rien dissimuler de sa pensée, alors il conteste l’opinion selon laquelle la Grèce aurait été sauvée par la victoire navale remportée sur les barbares. « Nous, au contraire, dit l’Athénien des Lois, nous affirmons que les batailles livrées sur terre, à Marathon et à Platées, ont l’une commencé à sauver les Grecs, l’autre achevé cette œuvre et qu’elles ont rendu les Grecs meilleurs, tandis que les autres ne l’ont pas fait, si nous pouvons parler de la sorte des batailles qui contribuèrent alors à nous sauver; car, à la bataille de Salamine, j’ajouterai, pour te faire plaisir, celle de l’Artémision qui se livra sur mer. »

C’est donc en philosophe épris de perfection morale et dédaigneux de la réussite matérielle que Platon juge certains épisodes de l’histoire d’Athènes, généralement tenus pour glorieux, et qu’il déprécie les victoires remportées par la marine athénienne.

V. — La marine dans l’État platonicien

Ce sont les mêmes préoccupations de philosophe qui ont conduit, on le sait, Platon à concevoir une société organisée selon la justice avec le souci d’amener les citoyens au bonheur par la pratique de la vertu.

Import/export réaliste

Assurément, quand Platon fait dans la République le tableau d’une société naissante où les activités se multiplient et se développent et où, par suite, la division du travail devient nécessaire, il en arrive au moment où cette communauté a besoin de ce qu’elle ne produit pas elle-même. Dès lors un recours au commerce d’importation s’impose. Comme les autres communautés se trouvent dans le même cas, le commerce d’exportation s’organise d’une façon aussi naturelle. Or, le commerce d’importation et le commerce d’exportation se font, dans l’antiquité grecque, surtout par mer. Par conséquent le groupe social doit compter dans son sein des gens qui possèdent la compétence voulue pour tout ce qui concerne la marine. Le commerce maritime est donc considéré comme un fait économique dont on ne peut nier l’existence ni même la nécessité, car il résulte des conditions mêmes de l’existence de la société : c’est là du réalisme.

Ce réalisme toutefois a des limites, puisque Platon range dans la dernière catégorie de citoyens ceux qui s’occupent du commerce, avec tous ceux, en général, qui exercent un métier, tandis que le pouvoir est confié à des philosophes qui gouvernent la cité parfaite avec, pour auxiliaires, les guerriers. Mais c’est surtout dans les Lois que Platon a indiqué assez nettement ses sentiments et ses idées sur la mer, la navigation, la valeur du commerce maritime et la place que la marine doit tenir, selon lui, dans la vie de l’État.

Quand il s’agit de fonder une cité, la première question qui se pose est de savoir si elle sera une cité maritime ou une cité située dans l’intérieur des terres. La réponse est que la nouvelle cité se trouvera éloignée de la mer d’environ 80 stades et encore Platon trouve-t-il que celte distance est trop petite [23]. Il s’en contente néanmoins parce que cette cité ne manque presque de rien, son territoire lui fournissant la plus grande partie de ce qu’il lui faut. Cet éloignement relatif de la mer ainsi que la richesse du sol semblent être les conditions les plus favorables au développement d’une cité prospère. « Car, dit-il, si la cité devait être au bord de la mer avec un bon port et si, au lieu d’être fertile en produits de toute sorte, elle manquait d’un grand nombre de choses, c’est un grand sauveur qu’il lui faudrait et des législateurs divins pour qu’elle n’eût point des moeurs bigarrées et perverses avec une pareille situation. »

Platon donne alors les raisons qui lui font redouter pour sa cité le voisinage de la mer. Ce voisinage lui paraît d’abord fâcheux à cause des habitudes que fait naître le commerce. « La proximité de la mer, en effet, pour un pays, dans la vie quotidienne, est un agrément, mais en réalité c’est un voisinage saumâtre et amer ; en remplissant la cité de trafic et d’affaires commerciales, ce sont des mœurs instables et déloyales qu’elle fait naître dans les âmes, elle rend la cité pleine de défiance et d’hostilité à l’égard des autres hommes x. » Cette fois encore c’est le philosophe qui parle, l’homme soucieux d’organiser la cité pour que la vertu y règne, le théoricien moraliste, qui veut qu’un État soit soumis à la règle de l’harmonie ; qui considère, par suite, comme un mal tout ce qui risque de mettre en péril la concorde entre citoyens [24].

Méfiance de l'enrichissement d'exportation

Ce sont des préoccupations du même ordre qui incitent Platon à voir dans le commerce un instrument de démoralisation et, en conséquence, à le juger sévèrement, surtout le commerce d’exportation, car il est une source d’enrichissement, il emplit la cité de monnaie d’argent et d’or, ce qui constitue, à vrai dire, le plus grand des maux. On sait aussi que Platon voyait dans le voisinage de la mer deux dangers encore ; l’un, d’ordre militaire et Platon se fondait surtout sur l’exemple d’Athènes qui avait eu à souffrir de la puissance navale de Minos ; l’autre, d’ordre social, puisque la victoire sur mer donnait de la gloire à des gens pour qui Platon avait peu d’estime.

L’attitude de Platon se comprend si l’on tient compte de deux choses. D’abord, l’auteur a une conception de la guerre et de la valeur militaire qui est celle des anciennes sociétés aristocratiques. Pour lui, le seul fait de reculer est déshonorant [25]; au combat, il semble exclure toute idée de manœuvre et d’habileté ; une victoire obtenue grâce à des feintes ne saurait, pour lui, valoir de l’honneur à celui qui la remporte. En second lieu, on ne doit pas oublier l’aversion de Platon pour la démocratie. Or, une victoire navale ne pouvait qu’accroître dans une cité l’influence des démocrates. C’est parce qu’une politique d’expansion maritime assurait sa prépondérance dans P État qu’à Athènes le parti démocratique l’avait toujours favorisée et quand les Quatre Cents avaient renversé le régime démocratique, c’est la flotte de Samos qui l’avait rétabli, en -411.

Ainsi, parce qu’il redoute l’influence de la mer, Platon s’efforce d’en préserver le plus possible la cité qu’il entreprend de fonder. Le fait est d’autant plus digne d’être noté que dans les Lois Platon a fait toutes les concessions auxquelles il pouvait consentir, afin de faciliter l’application de ses théories politiques et que dans cet ouvrage il s’est rapproché de la démocratie dans la mesure où sa conception de l'État pouvait n’en pas trop souffrir. Il n’est pas sans intérêt à ce propos de comparer l’attitude de Platon, qui, toujours plein de défiance à l’égard du commerce, apporte des restrictions aux échanges commerciaux et va même jusqu’à l’interdiction, avec l’attitude de Xénophon qui, rallié sur le tard à la démocratie, s’associe à la politique d’Eubule et préconise dans son traité des Revenus certaines mesures destinées à favoriser le commerce et la marine.

Conclusion

Peut-être est-il maintenant plus facile de mesurer aussi exactement que possible la place que la mer et la marine occupent dans l’œuvre de Platon et d’expliquer sa pensée en cette matière.

Mer : domaine d'expérimentation de principes communs

Platon s’est intéressé à la mer comme à l’un des domaines où il voyait s’exercer et se manifester l’activité humaine et à la navigation comme à un art qui s’inspirait de certains principes communs à tous les arts. La mer et la navigation lui ont donc servi dans la mesure où il y puisait des exemples destinés à rappeler, en les illustrant, certaines vérités qu’il jugeait fondamentales et qu’il trouvait parfois méconnues.

Toutefois, quelle qu’ait été sa connaissance des choses de la mer, quelque intérêt qu’il ait trouvé à la navigation, l’attitude de Platon reste surtout faite, en définitive, de défiance et d’aversion.

Mer : épendeuse de dangers

Le philosophe, épris de fixité et de stabilité, qui recherchait des certitudes, considérait sans grande sympathie la mer mouvante et changeante, la mer qui est le domaine de l’aventure et du devenir. C’est pourquoi le grand rêveur qui a laissé son imagination errer dans l’espace où il se plaisait à décrire un monde idéal tout plein de la divinité, lui qui a pensé au ciel pour y placer le modèle de la cité parfaite, lui qui a parlé en des termes magnifiques et qui parfois confinent au lyrisme, du soleil source de la lumière et de la vie, il a non seulement été insensible au charme de la mer, mais même il n’a vu en elle que ce qu’elle comporte d’incertain et de dangereux.

Le politique qu’il était avait jusqu’à un certain point hérité les préjugés répandus dans les milieux conservateurs et qui dataient d’une époque où l’aristocratie terrienne toute-puissante, redoutant les influences étrangères et l’introduction de mœurs nouvelles, tenait en suspicion la mer par où arrivent les nouveautés. C’est pourquoi lui qui avait voyagé interdisait les voyages à l’étranger ou du moins voulait les réglementer.

La démocratie ne tient pas la mer

Surtout, le théoricien appliqué sans relâche au soin de dresser le plan de la cité future se dressait en adversaire de la démocratie, coupable de représenter quelque chose de tout à fait opposé à son système. Ce régime, en effet, se fondait sur le principe de la reconnaissance à tous d’un droit égal à participer aux affaires publiques, alors que la cité platonicienne reposait sur le principe de la spécialisation et de l’appropriation des capacités, que chacun pouvait avoir, aux diverses fonctions dans la société. Or, dans le monde grec en général, et, d’une manière plus particulière à Athènes, le développement de la démocratie allait de pair avec celui de la puissance navale et commerciale de la cité, et la population des ports était le meilleur soutien de ce régime.

Ainsi s’explique une attitude d’esprit que tout concourait à déterminer et à entretenir chez Platon : les théories aussi bien que le tempérament.

J. LUCCIONI.

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  1. Les citations d’Homère ou les allusions à son œuvre sont nombreuses chez Platon. Voir à ce sujet J. Labarbe, L’Homère de Platon, passim, et notamment p. 12. Platon, quoi qu’il dise d’Homère, ne peut se défendre d’une certaine tendresse et d’un respect pour le poète (Rép., 595 b.). Cf. Buffière, Les mythes d’Homère et la pensée grecque, p. 12.
  2. Cf. P. Girard, L’éducation athénienne au Ve et au IVe siècle av. J.-C., p. 139 sq. H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l'antiquité, p. 226.
  3. Euclide est de ceux qui assistèrent aux derniers moments de Socrate {Phédon, 59 c) et il est un des personnages du Théétèle.
  4. Cf. aussi Cicéron, De fin., N, 29, 87. De Rep., 1,10,16. Strabon, XVIII, 1, 29. On peut consulter l’article de M. Godel, Platon à Héliopolis d'Égypte, Bull, de l’Ass. G. Budé, mars 1956, p. 69 sq., avec postface de M.-F. Daumas, Ibid., p. 113 sq.
  5. On a pensé aussi que Platon avait pu visiter la Crète. Cf. F. Ollier, Le mirage spartiate, p. 237, n. 2. H. Van Effenterre, La Crète et le monde grec de Platon à Polybe, p. 68.
  6. On voit dans Diogène Laèrce que beaucoup de philosophes voyageaient.
  7. On doit ces détails non pas à Platon, mais à Diogène Laërce (III, 20).
  8. Glotz a calculé qu’il fallait de cinq à six jours pour se rendre du Pirée à Corcyre et quatre ou cinq de Corcyre à Syracuse (Le travail dans la Grèce ancienne, p. 351).
  9. Socrate se contente de dire qu’il a été persuadé par "quelqu’un" (Phédon, 108 c).
  10. On le voit notamment par le sens de stérile donné par les grammairiens anciens à l’épithète homérique qui signifie plus probablement : infini. Cf. Séchan, art. cit., p. 4, n. 1.
  11. Peut-être y a-t-il là une survivance d’un ancien interdit religieux, jeté sur le poisson. Cf. Germain, op. cit., p. 610.
  12. On pourra consulter notamment
    • S. Gsell, Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, I, p. 326-329 (qui se montre sceptique).
    • P. Termier, L'Atlantide, Bulletin du Musée océanographique de Monaco, n° 256, janvier 1913, p. 2-22 (qui juge vraisemblable l’existence de l’Atlantide).
    • A Bessmertny, L’Atlantide, Exposé des hypothèses relatives à l’Atlantide.
    • Une excellente mise au point a été faite récemment par M. Séchan, art. cit., p. 13 sq.
  13. Les contemporains de Platon, au surplus, furent témoins de catastrophes du même genre. Voir notamment Thucydide, III, 89. Strabon, I, 3, 10 ; 20. VIII, 7, 2 ; 5. Diodore de Sicile, XII, 59; XV, 48.
  14. Peut-on objecter que Platon assigne comme séjour à ceux qui ont mené une vie juste des îles qu’il appelle îles des Bienheureux? (Banquet, 180 b. Gorgias, 523 b.) Il ne le semble pas. On a fait remarquer, en effet, qu’il est difficile de préciser où Platon situe ces îles et « s’il les considère proprement comme des îles » (Séchan, art. cit., p. 12).
  15. C’est un procédé que Platon emploie volontiers. On se rappelle le passage du Banquet où Alcibiade annonce qu’il va faire l’éloge de Socrate et que, dans cette intention, il aura recours à des images, Si' eix6vo>v {Banquet, 215 a).
  16. Nous pensons que c’est le sens qu’il faut donner ici au mot Sixtuo». Dans un autre passage du même dialogue il s’agit de filet du chasseur : PovX6p.ev6ç px •rjpeüffai ta. ôv6p.ara KEptaTiqaac, dit Socrate (Ibid., 295 d).
  17. On connaît le passage de la République (370 b) où Platon fait la théorie de la division du travail dont il montre les avantages. Cf. aussi Ibid., 394 e. Lois, 846 d e.
  18. Rép., 332 : < xv6epv?jTT)ç », dit Platon. On traduit le mot tantôt par pilote, tantôt par capitaine du navire. Du point de vue technique, en effet, « c’est lui qui commandait on réalité le navire » (A. Cartault, La trière athénienne, p. 226).
  19. L’idée vient peut-être de Socrate, car on la trouve exprimée aussi chez Xénophon (Mém., III, 9-10-12).
  20. On nous permettra de renvoyer à notre étude sur La pensée politique de Platon, notamment p. 107 sq.
  21. voir le même terme employé dans Rép., 616 c. Cf. A. Cartault, La trière athénienne, p. 56.
  22. Ménexène, 241 a. C’était un thème d’éloquence déjà avant Platon. Cf. Lysias, Or. fun., 30 ; 34-41. Voir aussi Eschyle, Perses, 454-470. Sophocle, Ajax, 599 sq. Euripide, Troy., 799 sq. Aristophane, Lysist., 1251.
  23. Lois, 704 b e. Un peu plus de 14 kilomètres.
  24. La nécessité de la concorde est un thème socratique. Cf. Platon, Pol., 311 c. Xén., Mémor., III, 5, 6, IV, 4, 16. Cyrop., V, 5, 11.
  25. C’est la conception spartiate. Cf. Hérodote, VIII, 104.