Officiers, pour quel office - 1971

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OFFICIERS,
POUR QUEL "OFFICE" ?

Contribution psychosociologique à l’approche d’une nouvelle condition militaire,
contemporaine du concept polémologique de dissuasion.
Jean-Paul MOREIGNE
Revue de la Défense Nationale, 1971

De formation médicale psychologique et psychanalytique, l'auteur a rencontré le problème de la carrière militaire tel qu'il se pose, d'une part dans les préoccupations de l'Administration Centrale, d'autre part dans les réflexions du personnel militaire lui-même.

Il lui est apparu que l'évolution de la conjoncture polémologique, et tout particulièrement l'apparition de la situation nouvelle dite de dissuasion, conduit à reconsidérer le lien social qui unit l'officier à l'institution militaire.

C'est pour l'élaboration de ce nouveau contrat bilatéral qu'il propose quelques bases de réflexion.

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Il est à chaque instant un certain nombre de jeunes hommes, d’adolescents, et pourquoi pas d'enfants, qui rêvent et s’interrogent sur le métier des armes, la vocation militaire. Ils rêvent et puis, un jour, leurs pensées s’inscrivent en actes dans la réalité.

Une fois dépassées les diverses étapes d'un « cursus honorum » purement scolaire, on propose à leur signature un contrat et les voilà « commis à un office » par l’Etat. Décision certes de leur part, mais qui s’étaye sur quelle représentation de leur avenir ? Quel projet pensent-ils actualiser par là ? Dans quelle société pensent-ils pénétrer et à quelle place ?

Pour chacun d’eux, comme pour la collectivité, le prix d’une méprise, la rançon d’une erreur, peuvent être lourds. C’est à la leur éviter que cet article voudrait contribuer.

Evoquons d’abord un passé qui pour être récent n’en est pas moins révolu.

Les « forces armées » constituaient naguère un potentiel disponible pour des tâches d’agression ou de défense estimées conformes à l’intérêt national. La période d’emploi de cette force s’appelait la guerre. Sa mise en œuvre dépendait d’une volonté nationale, soit provoquée, soit ressentie par l’appareil politique à la tête de l’Etat. Les militaires étaient au service du pays non par contrat mais par « engagement » ou par « obligation ». Leur rôle était de maintenir dans un état de disponibilité immédiate un outil de destruction aussi efficace que les ressources du pays le permettaient afin que cet outil opposé à un autre de même nature, fût capable de réduire ce dernier à l’impuissance aussi rapidement que possible. Cet affrontement, en concrétisant le rapport des forces amenait à réévaluer le rang des protagonistes et modifiait par là même leur relation d’interdépendance.

L’Armée avait une finalité précise : le combat. Son efficacité était à chaque instant susceptible d’être mesurée, son emploi se situait dans une perspective nationale et ses membres pouvaient en tous temps avoir une conscience claire de leur rôle.

Dans une telle conjoncture la vocation militaire reposait sur quelques vecteurs aisément identifiables : le patriotisme ou sentiment d’être concerné par le patrimoine national et par conséquent intéressé à sa défense, voire à son accroissement ; la combativité : forme sociale de sublimation des instincts agressifs ; le désir d’un statut : l’état militaire, qui par son caractère très cohérent limitait la remise en question permanente du « rôle », au sens sociologique, de l’individu ; enfin, le souci d’appartenir à un ensemble fortement structuré auquel il était loisible de s’identifier dans la mesure même où on lui abandonnait son autonomie.

Rappelons également quelques éléments historiques contemporains qui n’ont pas été sans répercussion sur l’évolution des finalités de l’institution militaire.

Tout d'abord, la notion de patrimoine national s’est peu à peu détachée du sol, du terroir, pour inclure les ressources, la puissance économique ou encore la référence à une éthique, à une civilisation, l’attachement à un mode de vie. Dès lors que l'objet même en cause prenait ces dimensions nouvelles, se faisait jour en chacun un conflit entre des choix, des options.

En d’autres termes, l’élaboration progressive de la conscience nationale s’élevant à des niveaux d’une complexité croissante allait de pair avec l’instabilité de son équilibre et avec la fragilité de sa cohésion. Il s’ensuivit une imprécision pour ne pas dire un éclatement de la volonté nationale.

A ce stade, l’Armée, outil de cette volonté, ne pouvait plus être perçue dans la tranquille assurance de son emploi opportun. La vocation militaire était implicitement assortie d’options idéologiques et la personnalité de base militaire comportait pour une part l’affirmation de ces choix.

Par ailleurs, l’extension de la technique dans le domaine du combat devint également source de confusion en doublant peu à peu l’état militaire d’un « métier » militaire. L’Armée, devenue entreprise, s’avérait désormais « employeur » et l’engagement hésitait entre les registres pourtant fort divers de la vocation et du choix professionnel.

Enfin, les forces armées, en un temps la seule expression tangible de la puissance nationale, prenaient rang parmi les signes variés de cette puissance. Pour ne citer que certains d’entre eux : le rayonnement culturel, la situation monétaire, la clientèle économique, le niveau de vie moyen prenaient peu à peu valeur représentative dans la compétition internationale. Ces signes de puissance se révélaient utilisables comme instruments d’affrontement, il devenait possible de chercher à modifier le rapport des forces en présence par un processus « a-militaire ». C’est ce qu’on a pu appeler la « guerre froide ».

Sans quitter une perspective traditionnelle ou plutôt conventionnelle au sens actuel du terme, nous voyons donc que la « chose militaire » a vécu une lente mutation qui, au-delà des péripéties conflictuelles, conduisait à reconsidérer la spécificité de la position militaire dans la collectivité nationale.

De plus, est apparu un concept stratégique nouveau : la dissuasion et nous ne devons pas méconnaître son impact psychologique sur la vocation militaire. En effet, il introduit dans le « vécu » militaire des données radicalement originales et susceptibles d’avoir des répercussions beaucoup plus nettes encore que n’en ont eues les quelques phénomènes que nous venons d’évoquer.

On objectera sans doute que l’adage classique « si vis pacem para bellum » constituait la première expression d'une stratégie dissuasive. Mais la dissuasion ne prépare pas la guerre. Elle la nie en la rendant impossible. Elle sous-tend une politique de défense plus radicalement pacifiste que tout désarmement. Elle vise un absolu que celui-ci ne peut atteindre. Une force de dissuasion ne constitue pas un moyen mais une fin. Elle ne s’inscrit pas dans un projet mais dans la constance répétitive d’un présent. L’équilibre dissuasif n’est pas une forme précaire de la paix ni une gestalt [1] préfiguratrice de la guerre. C'est un troisième état.

Que cette révolution polémologique soit encore en question dans la vérité de son accomplissement, il ne nous importe pas ici. Il suffit en effet qu’elle existe dans le surgissement de son intentionalité puisque c’est par là qu’elle a pris place dans la réalité psychique de ceux qu’elle concerne.

Ne serait-il pas temps alors de dire clairement que « grandeur et servitude militaires » ont perdu dans ce contexte leur acception d’antan ?

Ce sacrifice de sa vie que consentait le jeune Saint-Cyrien avant de se relever à l’appel « Debout les officiers ! », pourra-t-il soutenir qu’il ne concerne pas seulement sa mort physique ? Assumera-t-il l’apparrente inutilité d’un dévouement qui va jusqu'au « non-être » ? Ou bien plus raisonnablement, doit-on penser qu’il ne le peut que pour un temps de son existence ? Insidieusement, l’exigence de la nation est peut-être devenue inhumaine. Supportable le sacrifice de sa vie s’il se réfère à une valeur transcendante, patriotique ou idéologique. Insoutenable s’il ne doit être consommé que dans l’échec de la mission à laquelle on s’était voué. Or c’est bien de celà qu’il s’agit. La mise en œuvre d’une force dite de dissuasion consacre l’échec de son projet dissuasif. Comment articuler le raisonnable d’un projet et l’absurdité de sa réalisation ? Or l’exigence spécifique de la dissuasion est de soutenir que l’on assumerait (et non pas que l’on assumera) cette absurdité.

Le sacrifice demandé se situe donc dans un registre philosophique ; il va jusqu’au renoncement au sens de son existence. Qui prononcerait ce serment : « j’accepte d’avance de mourir un jour en sanctionnant ainsi l’absurdité rétroactive de ce à quoi je me serai consacré ; mais j’accepte également l’amertume de voir ma vie se terminer sans qu’aucune action véritable ait fait la preuve de l’opportunité de mon choix » ?

Quels temps joyeux ceux où la mort pouvait advenir dans l’éclatante lumière d’une fête ! Ne reviendra pas le Cornette Christoph Rilke de ce pays étrange où de jeunes soldats se fanaient comme des fleurs sur leurs selles de velours. Mais quel Golgotha de l’abandon demande-t-on alors à ces jeunes hommes de gravir, qui entourerait leur disparition non pas de la gerbe superbe de la gloire et de l’héroïsme mais de l'obscurité glaciale d’une abnégation absolue !

Alors ne faut-il pas poser leur engagement dans des termes différents ? S’engager à vie et s’engager à temps, quelque soit ce temps, sont des actes radicalement différents.

Il est difficile de réduire des vœux à un contrat. Mais si la vocation des armes est devenue insoutenable il faut bien définir, avec la maturité désespérante de Créon, les termes d’un contrat militaire.

Tout alors redevient possible.

Il n’est même plus besoin d’adhérer à la notion d’une nécessité essentielle de la défense. Il suffit d’une nécessité actuelle. Dépassée également la ségrégation radicale entre « Pékins de civils » et « Traîneurs de sabre ». Métier parmi d’autres. Fonction « publique » certes, d’intérêt « national » évidemment, mais profondément analogue aux autres tâches que la collectivité fait assurer à certains par délégation de tous.

Dans cette société peut-être plus « nouvelle » pour les militaires que pour quiconque, comment méconnaître leur droit fondamental à un « contrat de progrès » qui harmonise les variations de leur état à l’évolution constante du contexte social dont plus rien alors ne les sépare ?

Nous en arrivons donc à cette idée que la notion traditionnelle de « vocation militaire » est, par nature, incompatible avec une finalité institutionnelle de défense par la dissuasion parce que cette vocation s’appuyait sur une dialectique de la guerre et de la paix qui se trouve radicalement rompue. Cette mission nouvelle appellerait donc une définition, originale par rapport au passé, du rôle et du statut de l’officier. Mais ce nouveau contrat social ne peut-il s'établir dans des termes désormais analogues à d’autres contrats de la fonction publique ?

Nous en appuierons d’abord l’hypothèse sur une analogie présumée des concepts de défense et de sécurité, nous réservant de discuter secondairement l’insuffisance de notre analyse.

Les Armées frAnçAises sont subordonnées actuellement de façon fondamentale à une finalité qui s'inscrit dans la politique de la nation comme défensive.

Symboliquement l'appellation du ministre dont elles relèvent en est l’expression claire. Jadis ministre de la Guerre, naguère ministre des Armées, le voici ministre d’Etat chargé de la Défense Nationale.

Ce concept de défense est éminemment plus extensif que celui de combat.

Que celui-ci subsiste comme un moyen occasionnel de défense nul n’en disconviendra.

Qu’il y ait donc à s’y préparer nous l’admettons. Mais il serait dangereusement simpliste de réduire à cet aspect de la défense la finalité des armées.

Entendons-nous bien. La Défense Nationale au sens le plus large est une activité constante qui concerne tous les secteurs de la vie nationale et qui implique à chaque instant tous les appareils de l’Etat. Les armées n’ont en charge que la défense par les armes et il serait certes hasardeux d’étendre sans limite leur responsabilité hors de ce domaine. Mais la restriction contre laquelle nous nous élevons n’est pas là. La défense par les armes ne se confond pas avec la défense par l'emploi des armes.

Plus accessible s’avérera peut-être cette distinction si nous prenons le détour d’une analyse en termes de sécurité et non plus de défense.

Pour ce faire, assimilons la collectivité nationale à une entreprise.

D'une certaine façon elle en est bien une puisqu’elle a un produit : le produit national brut, et des consommateurs : ses propres citoyens. Elle en est même encore une si, dépassant le niveau des biens, on étend le problème aux satisfactions qu’elle est capable d’apporter aux aspirations des citoyens.

Dans une firme, dans une entreprise il y a des divisions, des départements dont certains constituent des imités de production et d’autres des services fonctionnels.

Si donc nous considérons la société nationale comme une firme, certains départements : l’agriculture, l’industrie, l’équipement, et aussi l’éducation nationale, sont des unités de production. En un temps les forces armées par la conquête, la colonisation, l'établissement de voies de communication ou de zones d’influence étaient des unités de production puisqu'elles augmentaient le potentiel national. Leur mise en œuvre constituait un investissement. Mais si la notion de défense est vraiment devenue déterminante les forces armées constituent pour l’Etat un service de sécurité.

Leur fonction est de préserver, aux moindres frais, les conditions de fonctionnement du reste du système. La nation délègue à ce service la charge de gérer au mieux ce secteur de la sécurité par une analyse judicieuse des risques et par l'élaboration des méthodes les plus économiques pour se prémunir contre tout incident.

Si la sécurité, en régime normal, peut être l’affaire d’un service donné fonctionnant avec le souci dominant de l’économie et de la prévention, cette même sécurité, quand la menace se transforme en stress, en agression, redevient l’affaire de tous.

Dans cette perspective, il est dans la fonction du service de sécurité d’avoir prévu les formes les plus urgentes de réaction mais surtout la substitution d'une gestion de crise à une gestion de production. C’est-à-dire la mise en place d'un appareil qui emploie toute les ressources nationales disponibles à des fins de défense.

Si l’on accepte cette analyse on voit donc se dessiner deux « managements » de la défense.

L’un vise à la gestion la plus économique possible des mécanismes permanents de sécurité. L’autre a pour objectif la gestion adaptée à une conjoncture de crise, d’événements critiques, du potentiel national au besoin tout entier.

Si nous soumettons donc le concept de défense par les armes à celui plus extensif de sécurité nationale, le service public qui en reçoit sa raison d'être se trouve investi, à tout le moins, de deux finalités : empêcher le surgissement de tout événement portant atteinte à la nation, à ses ressources ou à sa vie ; entretenir les éléments d’une réparation de cette atteinte, si celle-ci malgré tout se produit, ainsi que ceux d’une limitation de son extension catastrophique.

Que la dissuasion, atout majeur de la première finalité, rende superfétatoires ou non, les tâches qui relèvent de la seconde, c’est là un débat d’ordre politique qu’il ne nous appartient pas d’aborder. Nous prendrons comme postulat, puisqu’il en est ainsi actuellement choisi, que cette deuxième finalité reste coexistante de la première.

*♦*

Les finalités Défensives De L’institUtion militaire s’expriment actuellement à notre connaissance en quatre missions :

  • l’entretien d’un appareil de dissuasion,
  • le soutien militaire d’un dispositif national de défense du territoire,
  • la maintenance d’un potentiel militaire moderne, bien que conventionnel, susceptible d’être engagé dans un conflit « précritique »,
  • le maintien en disponibilité permanente de forces permettant des interventions ponctuelles préventives.

Il se trouve que ces missions pour être complémentaires n’en sont pas moins compétitives, que la façon dont chacune d’entre elles est assumée retentit sur toutes les autres, leur conférant sans cesse ou plus ou moins d’importance.

Pour ce qui nous intéresse ici, à savoir la représentation qu’un futur officier peut avoir de son rôle, il nous faut bien reconnaître autant l’hétérogénéité de ces missions que leur interdépendance. Le tout est de ne pas se laisser enfermer dans un dilemme impossible à dépasser. Il faut abolir toute différence radicale entre ceux qui vivraient dans une réalité actuelle de paix et ceux dont l’existence ne s’appuierait que sur une perspective de guerre. Ce n'est plus de cette perspective que procède une institution militaire consacrée à la dissuasion et à la défense. Il y a à inventer une condition militaire qui ne soit plus basée sur l’alternative paix ou guerre.

Administrateurs, ingénieurs, cadres, managers, d’un service public de sécurité nationale, les officiers, aujourd’hui, sont commis par l’Etat à un rôle dont la structure n’a plus pour élément organisateur l’action belliqueuse.

Le combat subsiste certes, mais comme une éventualité improbable et non comme raison d’être.

Une comparaison médicale nous aidera peut-être à exprimer cette idée. L'hygiène, la prophylaxie, la politique de santé aboutissent peu à peu à l’éradication de certaines maladies. Pour celles-ci, l’éducation sanitaire, les vaccinations, la vigilance constante à l’égard des signes précurseurs d’une résurgence de ces maladies constituent à elles seules le rôle médical. Et s’il faut bien garder quelque part dans son esprit et dans son arsenal thérapeutique les moyens de guérir une diphtérie ou un tétanos, il ne viendrait à l’esprit d’aucun médecin de penser à l’égard de telles maladies qu’il est d’abord un thérapeute ensuite un hygiéniste.

C’est cette lucidité quant à l’inversion de fait dans la hiérarchie des rôles qui permettra seule d’assainir les conditions de l’engagement dans la vie militaire.

Si la guerre est bien perçue comme une maladie de l’humanité et si l’équilibre dissuasif vise authentiquement à son éradication, au moins dans ses formes majeures, il faut s’incliner devant l’évidence d’un changement définitif du rôle militaire et il faut en tirer les conséquences quant au contrat social que ce rôle justifie.

Qu’offre alors ce contrat à celui qui le signe comme perspectives d’accomplissement et de réalisation de lui-même et de quelles garanties va-t-il légitimement souhaiter qu’il se trouve assorti ?

S’orientant vers une profession au lieu de s’engager dans une carrière, le candidat à une école militaire n’investit plus de la même façon son acte. Le concours qu’il présente se range parmi les autres modes d’accès à des fonctions de cadre en raison de sa difficulté plus ou moins grande, mais non pas comme étant d’un autre ordre.

Ce métier qu’il choisit ne trouvera pas son sens dans l’après-coup d’un événement mais dans le quotidien de sa vie.

Peut-être « le militaire », dans la confusion métonymique de l'être et de l’emploi, n’est-il déjà plus qu’une image du passé, image effacée mais déjà remplacée par celle d’un métier militaire dont on peut attendre des satisfactions professionnelles mais dont on peut aussi penser qu’il conserve une dimension éthique puisqu’il subordonne ces satisfactions à la valeur impérative du bien public.

En suivant une démarche forcément hésitante nous avons essayé jusque là de repérer en quoi la problématique de l’engagement dans une carrière d’officier s’avérait actuellement renouvelée de façon radicale.

Nous avons soumis à l’analyse critique les notions traditionnelles de patriotisme, de vocation des armes, de consécration d’une existence entière à un idéal transcendant, en mesurant la difficulté de les adopter comme seuls éléments organisateurs d’un projet de vie.

Nous avons incité le lecteur à reconnaître que la polémologie se trouvait bouleversée par l’émergence de l’état de dissuasion échappant à la dialectique classique de la paix et de la guerre ; que le concept de Défense Nationale était à la fois extensif parce qu'il déborde l'emploi des armes et réducteur parce qu’il amenuise la finalité du combat.

Nous en avons déduit qu’il serait réaliste de reconsidérer la condition militaire dans la perspective d’une plus grande analogie avec les autres rôles sociologiques de la fonction publique d’une part, avec le statut de cadre d’autre part.

Il nous semble qu’un recrutement d’officiers qui se nourrirait d’une équivoque entretenue sur ces divers plans ne pourrait que conduire à un malaise et à des crises.

Il nous semble tout autant que la profession d’officier envisagée dans une équivalence de formation, d'emploi et d’avenir avec d’autres professions de cadres peut constituer un choix raisonnable.

Par les responsabilités qu’elle comporte, par ses exigences quant à l’autorité, à l’esprit de décision, aux capacités d’organisation, par l’occasion qu’elle procure d'être confronté aux hommes et aux techniques, cette profession porte en elle beaucoup de satisfactions et une perspective valable d’accomplissement.

Elle n’a pas besoin d’attendre un sens de l’occurence d’une guerre, elle peut être présentée à découvert, pour ce qu’elle est devenue.

Qu’en raison des souvenirs encore vivants d’une époque pourtant révolue, une telle position soit vécue avec nostalgie, désenchantement ou même révolte par certains, nous en conviendrons volontiers.

Mais il est des temps de vérité auxquels on serait coupable de se soustraire et des réalités nouvelles dont la méconnaissance minerait irrémédiablement tout édifice qui s’édifierait à la fois sur elles et sans elles.

Les structures sociales se modifient avec un hystérésis important par rapport à l’évolution de la conjoncture qui les fonde.

La structure de défense d’un pays n’échappe pas à cette loi.

Docteur Jean-Paul Moreigne,
Maître de recherches de psychologie clinique.


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  1. (1) N.D.L.R. — L’auteur fait allusion ici à la forme au sens où l’entend l’école allemande dite de la Gestaltpsychologie.