La France et la mer

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La France et la mer
M. le Vice-amiral d’escadre Edouard Mac-Grath
http://en65.fr/ctn/EMG-La-France-et-la-mer.pdf


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L’amiral que je suis a l’honneur et le plaisir de vous entretenir aujourd’hui d’un sujet qui lui est particulièrement cher, de la mer qu’il a sillonnée et de la France qu’il a servie pendant quarante ans au sein de la Marine nationale.

« La France et la mer » tel est l’objet de cette communication, et donc, comme je l’ai fait figurer en sous-titre, je vous propose pendant une petite heure « une promenade en mer sous pavillon Français ». Dans une première partie je parlerai des mers et des océans, de leurs caractéristiques, de leurs ressources, de leurs richesses, et des tentatives d’organisation de ces espaces considérables. Ensuite j’évoquerai la relation entre notre pays et la mer au cours des siècles, pour constater que nous n’avons pas su exploiter toutes les possibilités qui s’offraient à lui. Et enfin, j’évoquerai la situation d’aujourd’hui et les perspectives en osant percevoir un frémissement, une prise de conscience, de l’intérêt de la chose maritime, qu’il conviendra de poursuivre. Quelques cartes et images illustreront mon propos.

Nous allons naviguer dans la géographie et l’histoire, bien sûr, mais je vous propose aussi de faire de courtes escales à travers les arts, les lettres, la sociologie, l’économie, les techniques… Car la mer touche aujourd’hui toutes les activités humaines.



Mers et Océans

Nous sommes des terriens, nous habitons le globe terrestre. Mais les mers recouvrent soixante et onze pour cent de la surface totale de ce globe. Nous ne pouvons les ignorer. Le plus grand espace homogène de notre planète (la planète « Terre ») est l’Océan Pacifique qui a lui seul occupe un tiers de la surface. Les mers et les océans ont une profondeur moyenne de trois mille sept cents mètres, avec des fosses atteignant onze mille mètres. Ces inégalités du relief sous-marin engendrent évidemment des courants principalement dus aux différences de température entre les diverses profondeurs et la surface, courants qui influent largement sur les équilibres climatiques de l’atmosphère terrestre.

La mer a été longtemps considérée comme un espace infranchissable, une frontière.

Les premières explorations à l’époque du Néandertal, puis de l’expansion leptolithique (cinquante mille ans avant notre ère) se limitaient par voie terrestre aux continents eurasiatique et africain. Il a fallu attendre la révolution néolithique (vers deux mille avant Jésus Christ) pour trouver des traces d’activités humaines aux Amériques et en Océanie. L’Océan Pacifique avait été franchi mais, curieusement peut-être, l’Atlantique restait une barrière.

Fig 2  Les grandes étapes de la connaissance du monde

Les premiers navires capables d’affronter quelque peu la mer sont ceux des Phéniciens (mille cinq cents avant Jésus Christ). De barrière infranchissable, la mer commençait ainsi à devenir un trait d’union. Elle conserve aujourd’hui ces deux aspects. La mer reste une barrière. C’est la frontière naturelle par excellence, que nul ne peut contester, même s’il y a des litiges, nous y reviendrons. Il y a sur le globe autant de kilomètres de côtes que de kilomètres de frontières terrestres. Mais la mer est aussi et toujours plus un espace qui permet de créer des liens, des échanges, un vecteur de communication dans tous les domaines. C’est un immense acteur de ce que l’on appelle la mondialisation. De néologisme en néologisme, mondialisation rime désormais avec maritimisation. La mer recèle d’énormes richesses. La première richesse, c’est l’eau elle-même, l’eau en perpétuel mouvement, qui plus est salée. L’eau en mouvement est source d’énergie. Il est possible d’exploiter l’énergie développée par les marées, par les courants, par la houle. La transformation de cette énergie en électricité, illustrée chez nous par l’usine marémotrice de la Rance, inaugurée en1966, reste pour l’instant embryonnaire compte tenu de sa faible rentabilité, mais le potentiel demeure. L’entreprise Naval Group, issue du changement de statut des arsenaux d’Etat (Direction des constructions navales) est en train d’expérimenter des hydroliennes, turbines immergées transformant l’énergie des courants marins.

L’eau salée est doublement riche : elle contient le sel, indispensable à la vie, et dont les propriétés de conservation des aliments connues depuis toujours ont justifié son imposition, la gabelle, l’un des premiers impôts, au Moyen Age.

Mais aussi, aujourd’hui, on dessale l’eau de mer, en particulier dans les pays désertiques, pour produire l’eau douce indispensable à la vie humaine, à la culture, à l’élevage. C’est le cas dans les pays du golfe Arabo-Persique, Qatar et Emirats en particulier, mais aussi plus récemment aux Etats-Unis, en Australie, en Chine. Pour ne pas avoir à y revenir dans la dernière partie de cette communication, je mentionnerai que la France est en pointe dans le domaine des usines de dessalement d’eau de mer, avec Véolia, qui maîtrise les deux technologies, l’ébullition et le filtrage chimique (osmose). Pour illustrer ce propos de façon un peu schématique, je citerai l’usine ancienne de l’Ile de Sein, qui produit cinquante mètres cubes d’eau par jour, et celle toute récente de Fujairah, aux Emirats, d’où sortent quotidiennement six cent mille mètres cubes.

La mer est un espace peuplé et vivant.

Algues et poissons, vertébrés et invertébrés, plancton, coraux, constituent des éléments alimentaires ou médicinaux bienvenus pour l’homme. D’après l’Institut Français de la Mer (IFREMER) qui possède une direction scientifique « Biodiversité Marine et Côtière », nous connaissons environ deux cent cinquante mille espèces, ce qui ne correspond sans doute qu’à un dixième de l’existant. Les micro-algues peuvent aussi être source de biocarburant : les lignes régulières de la Lufthansa ont expérimenté leur utilisation, Boeing et Airbus sont intéressés.

Et bien sûr la pêche elle-même, domestique, artisanale ou industrielle, ainsi que l’aquaculture restent un socle indispensable de la nourriture des habitants des cinq continents. La production aquatique mondiale est en moyenne de cent soixante millions de tonnes par an, sept cent mille tonnes en France ; chaque français consomme en moyenne trente-cinq kilos de produits aquacoles par an.

Faisons une escale au milieu de cette navigation sous-marine en nous posant sur le fond. Le fond des mers recèle lui aussi de très grandes richesses, produits énergétiques et matériaux rares.

Les hydrocarbures, pétrole et gaz, sont largement présents. Environ un cinquième des réserves connues de pétrole et un tiers des réserves de gaz se trouvent au fond des océans. Les gisements se trouvant à une profondeur relativement faible sont exploités depuis plusieurs décennies. Les ressources plus profondes sont largement identifiées, mais pour l’instant leur éventuelle exploitation ne serait pas rentable. Les études se poursuivent. La société française Technip, alliée depuis 2017 à l’américain FMC tecnologies, est l’un des leaders mondiaux de l’exploitation « offshore ».

Nous nous souvenons sans doute tous de l’engouement d’il y a une trentaine d’années pour les nodules polymétalliques des fonds marins qui devaient constituer une révolution dans l’acquisition des matières premières. Ils sont certes bien présents, contiennent nickel, cuivre, fer, manganèse, cobalt, etc…, ainsi que des métaux plus rares, lithium, neodium …, de quoi nourrir une bonne partie du tableau de Monsieur Mendeleïev. Mais ceux-ci se trouvent pour la plupart à plus de trois mille mètres de profondeur et leur exploitation reste hypothétique. Des demandes de permis d’explorer sont déposées, mais non de permis d’exploiter.

Et puisque nous sommes pour un temps au fond de la mer, arrêtons-nous un moment sur un élément peut-être peu connu, l’importance des câbles sous-marins. Le premier câble de télégraphie a relié la France et l’Angleterre, plus précisément la Bourse de Paris et la City de Londres, en 1850. Aujourd’hui existe un réseau considérable de fibres optiques transocéaniques qui relient les cinq continents, avec une redondance assurée. La quasi-totalité des communications internet transite par ces réseaux. Et curieusement peut-être, c’est le monde de la finance qui encourage la course incessante vers un débit plus élevé. La réactivité des échanges entre les places financières mondiales met en jeu des sommes considérables. Les deux sociétés françaises France Telecom Marine, devenue Orange Marine, et Alcatel Submarine Networks (ASN), cette dernière assosiée au Finlandais Nokia depuis 2016, contrôlent soixante pour cent du marché des systèmes de transmission sous-marins, et un quart de la flotte mondiale des navires câbliers. Si vous allez à la Seyne sur mer, au fond de la rade de Toulon, vous pouvez apercevoir les câbliers de France-Télécom.

Tel un sous-marin rentrant de mission, faisons surface et confrontons-nous au trafic maritime qui se concentre à l’approche des grands ports. Plus de dix milliards de tonnes par an, soit plus de quatre-vingt-dix pour cent du volume mondial, sont transportées aujourd’hui par voie maritime et la tendance est à l’augmentation. Et l’on assiste à un réaménagement des routes maritimes traditionnelles, le doublement du canal de Panama redonne de l’importance à la transatlantique Nord, le réchauffement climatique permet d’envisager le « passage du Nord Est ». Nous en reparlerons dans la dernière partie de cette communication.

Le monde maritime est donc en pleine mutation, la mer est en mouvement, et pas uniquement celui des vagues.

Ces évolutions, il faut le reconnaître, se sont faites initialement de manière anarchique, la mer étant un espace de liberté, qui n’appartenait à personne, « res nullius ».

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » a magnifiquement écrit Charles Baudelaire, qui avait malgré lui à vingt ans navigué deux mois sur un trois-mâts.

Une prise de conscience s’est effectuée, et aujourd’hui l’utilisation des espaces et ressources maritimes est codifiée, de manière aboutie pour les aspects juridiques, moins avancée pour les aspects de l’écologie.

La mer, en majeure partie, appartient à tout le monde, c’est le « patrimoine commun de l’humanité ». Mais il existe désormais des règles qui s’imposent à tous.

Après une tentative sans application tangible des conventions de Genève de 1958, l’Organisation des Nations Unies décida en 1972 de réunir une nouvelle conférence destinée à codifier le droit de la mer. Celle-ci a abouti après dix ans de travaux auxquels la France, juristes, diplomates, marins, a très largement participé, à la convention de Montego Bay signée par cent dix-sept états en 1982, et entrée en vigueur en 1994 après l’obtention des soixante ratifications requises. Aujourd’hui, cent vingt états souverains l’ont ratifiée. Parmi les grands absents figurent les Etats-Unis, le Pérou, la Turquie, Israël et le Venezuela.

L’enjeu principal des négociations fût de concilier les velléités d’appropriation d’espaces très étendus des Etats côtiers, et le souci de préserver la liberté de navigation des grandes puissances maritimes. Le texte définit trois zones : la « haute mer » proprement dite, appartient effectivement à tous et la liberté d’action y est donc totale. La frange côtière constitue la « mer territoriale », où s’exerce pleinement la souveraineté de l’État riverain, et qui s’étend jusqu’à douze nautiques des côtes , soit un peu plus de vingt-deux kilomètres. Mais les navires, quel que soit leur pavillon, ont un droit de « passage inoffensif ». Entre ces deux zones, haute mer et mer territoriale, est définie une « zone économique exclusive » jusqu’à deux cents nautiques des côtes, où seul l’Etat riverain peut exploiter les ressources de la colonne d’eau et celles des fonds du plateau continental. La zone exclusive peut être prolongée si le plateau continental s’étend au-delà des deux cents milles, et des accords interétatiques peuvent permettre un partage des exploitations.

Cette description est évidement schématique et donc incomplète, je vous demande de bien vouloir m’en excuser: des règles particulières s’appliquent aux détroits, aux eaux archipélagiques, aux permis d’exploiter les fonds sous-marins en haute mer, etc.

Pour l’anecdote, je mentionnerai qu’avant Montego Bay, seule était codifiée la mer territoriale d’une largeur de trois mille marins, qui était la portée moyenne des canons depuis le rivage. Aujourd’hui c’est douze, c’est-à-dire l’horizon visuel du radar depuis la côte. Peut-être voit-on là l’illustration du pragmatisme des marins.

Voici donc planté le décor de notre promenade. Hissons maintenant le drapeau français (dans la marine on parle de « pavillon ») et naviguons à travers les siècles. C’est l’objet de la seconde partie de cette communication.

La France et la mer à travers les siècles

Il suffit de regarder une carte : la France est un pays maritime, qu’il s’agisse de la France « continentale » (lapsus révélateur ?) ou de la France que l’on dit aujourd’hui « ultramarine », je préfère « d’outre-mer ».

La France dite continentale est la péninsule occidentale de l’Europe, elle-même petit appendice du continent eurasiatique. Elle débouche sur deux mers et un océan, avec plus de trois mille kilomètres de côtes (à vol d’oiseau) qu’il faut mettre en regard des deux mille kilomètres de frontières terrestres, au Nord, à l’Est et le long des Pyrénées. La ligne bleue de l’océan est plus grande et plus bleue que celle des Vosges.

Et l’Europe elle-même, péninsule occidentale de l’Eurasie, peut être considérée comme d’abord maritime. Elle possède trente mille kilomètres de frontières maritimes, et seulement quatre mille kilomètres de frontières terrestres, d’Arkhangelsk sur la Mer de Barents à Astrakhan sur la Caspienne.

Projetons-nous outre-mer, pour mesurer la richesse immense que peuvent nous apporter les territoires français, tous insulaires à l’exception de deux: la Guyane aux Amériques et la Terre Adélie dans l’Antarctique. Ces derniers ont néanmoins une façade maritime d’une importance considérable.

Nous avons évoqué la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, et la création des zones économiques exclusives. En ce sens, la France dispose, et a la responsabilité, d’un espace maritime de onze millions de kilomètres carrés, ce qui la place au deuxième rang mondial derrière les Etats-Unis (onze millions et demi) et loin devant les suivants (Grande Bretagne, sept millions). Onze millions de kilomètres carrés, pour fixer les idées, c’est vingt fois la France, ou la Chine augmentée de la Mongolie.

Il s’agit là de la constatation d’un état de fait, il serait malvenu de s’en enorgueillir béatement, il faut au contraire en tirer les conséquences. Certaines sont prometteuses, certaines sont utopiques, mais toutes sont contraignantes et réclament des moyens.

Fig 3 Espaces maritimes français

Notre pays est donc un grand pays maritime, mais force est pourtant de constater qu’il n’a pas su jusqu’à présent en tirer les conséquences et devenir une puissance maritime, grande et surtout pérenne. Contrairement à nos proches voisins de l’Europe Occidentale, Anglais, Hollandais, Espagnols, Portugais, la chose maritime, que ce soit dans le domaine de la défense, du commerce, des explorations et grandes découvertes, n’a jamais été véritablement prioritaire dans la gestion des affaires du pays. Notre histoire est plus émaillée de grandes aventures continentales que d’aventures océaniques.

Certes il y a eu des exceptions, des épisodes remarquables, nous allons en parler. Mais ils ont toujours été le fruit de la volonté de quelques-uns, et n’ont pas survécu à la disparition de ceux-ci. Or la puissance sur mer requiert de la constance, de la continuité, de la persévérance dans l’effort.

S’agissant des explorateurs, on se souvient certes des expéditions de Cartier, Bougainville, La Pérouse, Dumont d’Urville, mais pour tout de suite s’attarder sur les découvertes, devenues conquêtes, terrestres.

On retiendra aussi, sans trop s’étendre, nos démêlés sur mer avec l’Anglais, ennemi héréditaire. Mais si on interroge un peu le détail, seule la bataille de Trafalgar évoque quelques (mauvais) souvenirs. La Hougue, Béveziers, le Cap Matifou, la Chesapeake, victoires françaises tout aussi importantes, n’ont d’écho que chez les spécialistes.

Il n’est pas possible dans cette brève communication de décrire en détail l’évolution de la puissance, ou souvent l’impuissance, navale française à travers les siècles. Nous nous contenterons d’évoquer les quelques périodes où la France a su véritablement exister sur mer.

Notre premier historien, Froissart, évoque succinctement dans ses chroniques Jean de Vienne, Seigneur de Roulans, le « Duguesclin » de la mer. J’ai eu l’occasion de vous en entretenir . Il en retient surtout ses exploits sur terre, en France, en Angleterre où, remontant la Tamise, il fait trembler Londres, et en Ecosse qu’il investit à deux reprises. Le Comtois Jean de Vienne est le premier grand marin français. Nous sommes à la fin du quatorzième siècle, sous le règne de Charles V.

François Ier fonde en 1517 le port du Havre dans le but de faire face aux prétentions espagnoles et portugaises sur les Amériques. Mais les aspects commerciaux sont négligés, la France reste tributaire des ports et des navires flamands et italiens pour ses approvisionnements. C’est sous le règne de François Ier que Jacques Cartier découvre le Saint Laurent.

Les guerres de Religion de la seconde partie du XVIème siècle concentrent les feux de l’activité sur terre, et il faut attendre Louis XIII et Richelieu pour que notre pays retrouve une ambition maritime. Ce dernier écrit : « La puissance des armes requiert non seulement que le Roi soit plutôt fort sur la terre ; mais elle veut en outre qu’il soit puissant sur la mer. » .

Il s’efforce d’intéresser le jeune Roi aux choses de la mer. Il officialise le rôle militaire des ports de Brest et Toulon. Il fonde l’école des Gardes de la Marine qui deviendra l’école Navale. Il crée un embryon de pendant français de « Compagnie des Indes » qui, faute d’argent et de volonté, ne lui survivra pas. Son successeur, Mazarin, en proie à la Fronde et aux difficultés financières qui en résultent, ne peut poursuivre ces efforts.

Colbert sous le règne de Louis XIV redonne de la vigueur à la politique navale du Royaume. Il ordonne la construction de nouveaux vaisseaux et poursuit l’organisation, très centralisée, des marines marchande et militaire. Il crée les grandes compagnies de navigation. Duquesne et Tourville, grands chefs d’escadre, Jean Bart, corsaire du Roi, remportent de nombreux succès. Mais les guerres continentales se succèdent (Espagne, Hollande, ligue d’Augsbourg, succession d’Espagne) et épuisent les finances du Royaume. Là encore la marine en fait les frais. En 1697, le traité de Ryswick, suivi de ceux d’Utrecht et de Rastatt, consacre la fin de la puissance maritime de la France au XVIIème siècle.

Fig 4 Le Soleil Royal

La première moitié du XVIIIème siècle n’est pas plus favorable et le traité de Paris, qui marque la fin de la guerre de Sept ans concrétise en 1763 le recul français sur et au-delà des mers : La France cède à la Grande Bretagne le Canada, la rive gauche du Mississipi, et l’empire des Indes. C’en est fini de rêver de la maîtrise de la mer.

Pourtant Choiseul, Ministre de Louis XV à la fin de son règne, à défaut de pouvoir reconstituer une marine puissante, réussit à limiter tant bien que mal les dégâts, permettant à la France de jouer quelques années plus tard un grand rôle sur la côte Est des Etats-Unis durant la guerre d’indépendance américaine : l’Amiral de Grasse défait les Anglais lors de la bataille de la Chesapeake (1781), permettant à Rochambeau et George Washington de vaincre les armées britanniques qui ne sont plus ravitaillées. Une frégate de la marine américaine porte aujourd’hui le nom « USS Comte de Grasse ».

Le Roi Louis XVI est intéressé par les choses de la mer. Il reconstruit une marine, et soutient les entreprises d’exploration : C’est l’époque de Bougainville et de La Pérouse, de Kerguelen et de Marion Dufresne. Suffren et de Grasse continuent de combattre avec succès (Ouessant, Antilles, Océan Indien) les Anglais sur mer.

Mais la Révolution ruine ce qui aurait pu être un renouveau. Une grande partie des officiers, souvent issus de la noblesse, émigrent ou sont mis à pied (ce qui pour un marin est fort problématique...). Des émeutes et des rebellions surviennent à Brest et Toulon. L’indiscipline règne. Les historiens s’accordent pour reconnaitre que la Convention a créé des armées de valeur, commandées par des généraux jeunes et compétents, mais qu’elle n’a pas su réaliser la même transformation dans la marine.

Et pourtant celle-ci réussit à limiter les ambitions britanniques qui veulent profiter de la faiblesse française. L’Angleterre s’allie en 1793 à l’Europe monarchique qui combat la France régicide. Les résultats indécis du siège de Toulon, des opérations de Quiberon, des tentatives d’occupation des colonies d’outre-mer, vacillent lors de la campagne d’Egypte avec le combat désastreux d’Aboukir (1798) et l’anéantissement sera consommé à Trafalgar (1805). L’Angleterre a pour près d’un siècle la maîtrise de la mer.

Napoléon entre temps a été sacré Empereur. Quelle fût son attitude vis-à-vis de la Marine ? Il me semble que pour lui, la mer était essentielle pour le commerce et les liaisons avec l’empire colonial, mais qu’il n’a pas suffisamment mesuré combien il importait d’avoir une marine militaire puissante pour assurer la liberté de navigation. Et il a toujours été impatient de réaliser ses ambitions continentales alors qu’il faut du temps pour créer, ou recréer, une Marine.

Malgré une tentative de renouveau menée en 1846, à la fin du règne de Louis Philippe, et qui restera sans suite, il faut attendre le Second Empire pour pouvoir parler de renaissance maritime : la stabilité du régime, la volonté de construire une armée de mer puissante avec les progrès techniques récents, la vapeur et la cuirasse, les travaux d’infrastructures dans les ports, le souci de former et donner aux marins un statut reconnu font qu’en 1865 la marine française est à nouveau parmi les meilleures du monde. Le commerce et le transport de passagers suivent la même voie : Les grandes compagnies, Paquet, Fraissinet, Worms, Messageries impériales qui deviendront Messageries maritimes, datent de cette époque. Et c’est aussi le moment de l’expansion coloniale, en Afrique bien sûr, mais aussi bien plus loin, en Indochine, où rien ne se fait sans la marine.

Mais l’ambition expansionniste de l’Empereur Napoléon III entraîne le pays dans la triste aventure du Mexique (1862-1867). La Marine a acheminé, soutenu et protégé pendant quatre ans notre armée de plus de quarante mille hommes à plus de sept mille kilomètres de la métropole.

Puis vient la guerre Franco-Prussienne de 1870 – 1871. La Marine réalise le blocus de l’Allemagne et interdit aux navires prussiens de quitter leurs ports. Mais cette guerre ruine le pays et sonne une nouvelle fois le glas de la puissance navale française, faute d’entretien et de renouvellement de l’existant.

Je n’évoquerai que très rapidement la période contemporaine, marquée par les deux guerres mondiales. J’ai eu l’occasion de parler devant vous de la Grande Guerre , et de deux tristes épisodes de notre histoire navale de la seconde guerre mondiale, le drame de Mers el-Kébir et le sabordage de Toulon . La Marine, de guerre et de commerce, de notre pays a pris sa part. Mais ces deux guerres ont plus que jamais mis en évidence l’importance des communications maritimes : c’est à chaque fois le ravitaillement, y compris en hommes, transatlantique, et le blocus de l’Allemagne restreignant en particulier son approvisionnement en matières premières qui a décidé du sort du conflit. La maîtrise des mers a été déterminante. Georges Leygues, qui fut un très grand ministre de la Marine de l’entre deux guerres, l’avait bien exprimé : « Être une puissance mondiale, cela veut dire être une puissance maritime ».

Ce rapide survol est forcément schématique et incomplet. Sans aller jusqu’à la caricature de Jacques Attali, qui parle de sept occasions manquées pour la France de devenir une puissance maritime , je dirai que nous avons su, à plusieurs reprises, obtenir cette puissance, mais que nous n’avons pas su l’entretenir ni la conserver. La puissance maritime nécessite une constance, politique et budgétaire, dans l’effort, et c’est qui a fait défaut jusqu’à maintenant.

Ce manque d’intérêt, et surtout de constance dans l’intérêt, pour le grand large que nous venons de constater dans l’histoire de France se retrouve aussi dans les lettres, les arts et la littérature.

J’ai évoqué Froissart, qui ne s’attarde pas sur le fait maritime. Un siècle plus tard, François Rabelais concède enfin à la mer, la vraie, la haute mer, une part non négligeable. A l’image de son contemporain Jacques Cartier, qui comme Pantagruel embarque à Saint-Malo, le premier pour prendre possession de Terre Neuve et du Canada, au nom du roi François Ier, le second pour aller chercher la Dive Bouteille, Rabelais nous emmène véritablement en mer, au milieu souvent de la tempête. Nous sommes au début du XVIème siècle, c’est la première véritable apparition de la mer dans la littérature française.

Puis l’on retombe dans l’oubli. Les grands écrivains du XVIIème siècle ignorent pratiquement tous la mer. On aurait pu penser que Fénelon, dans le « Télémaque » qui sillonne toute la Méditerranée orientale, ait quelques accents maritimes, ce n’est pas le cas. Le soleil du grand Roi brille sur terre, mais pas sur mer.

Le XVIIIème siècle, siècle des lumières, est à peine moins pauvre. Montesquieu, dans l’Esprit des Lois, consacre quatre petits chapitres, à vrai dire déplorables, (l’auteur souffrait du mal de mer, peut-être ceci explique cela), au fait maritime : « Quelques effets d’une grande navigation », « Du génie des romains pour la marine », « Des usures maritimes », « Des ports de mer ». L’Encyclopédie de Diderot n’évoque la mer qu’à travers les définitions sommaires de termes de marine, et l’Histoire Naturelle de Buffon l’ignore. Dans l’œuvre de Voltaire, seules quelques épisodes romanesques de Candide le mènent sur l’océan.

Il faut attendre le XIXème siècle pour voir l’iode et le sel se mêler à l’encre des écrivains : Châteaubriand le Malouin, Jules Michelet, auteur d’un roman « La mer » pour le moins bizarre, Victor Hugo, Eugène Sue (qui fut marin). S’agissant de ce dernier, je ne résiste pas au plaisir de citer Théophile Gautier rendant compte de « l’histoire de la Marine » : « L’on ne sait guère en France de Marine que ce l’on apprend à l’opéra-comique et au vaudeville… Il n’y a rien d’étonnant à cela ; la marine n’a jamais été en France un sujet de préoccupation nationale comme en Angleterre ou en Amérique… ». C’était en 1836.

Fig 5 La mer, de Jules Michelet.

Depuis, fort heureusement, de grands écrivains français ont célébré la mer et les marins : Dumas, Daudet, Jules Verne, Heredia, Claude Farrère, sans oublier Jules Viaud, officier de marine et Académicien, plus connu sous le nom de Pierre Loti. Il termine la préface qu’il rédige en 1903 pour la réédition de « la Mer » de Michelet en écrivant : « Alors la mer m’apparut bien telle que Michelet l’a comprise, le grand creuset de la vie, dont la conception permanente, l’enfantement ne finit jamais. »

Le dernier siècle a vu éclore, enfin, des publications maritimes. Sous la houlette de l’Amiral Castex, « inventeur » de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, des Amiraux Daveluy et Darrieux, de nombreuses études ont été publiées. Les historiens Philippe Masson, Claude Huan, Etienne Taillemite, Hervé Couteau-Bégarie se sont fait un nom qui dépasse les frontières et le domaine purement naval. Aujourd’hui, Yann Queffelec, auteur entre autres du « Dictionnaire amoureux de la mer », est connu dans le monde francophone.

Et calqué sur la prestigieuse et ancienne institution des « peintres de la Marine », le corps des écrivains de marine a été récemment créé.

Avant de parler de la peinture, j’évoquerai l’Académie de Marine. En 1752, date de création comme vous le savez tous, de notre compagnie, est aussi instituée par le Roi Louis XV une « Académie générale pour tous les ports » à Brest, qui devient « Académie Royale de Marine » en 1769, affiliée à l’Académie des Sciences. Comme la plupart des sociétés savantes, elle est supprimée par la Convention en1793. Après diverses péripéties, elle renaît en 1921 à la Sorbonne. Elle réunit soixante-dix-huit membres titulaires répartis dans six sections : Marine militaire, Marine marchande, Pêche et plaisance, Sciences et techniques, Navigation et océanologie, Histoire, lettres et arts, Droit et économie.

Venons-en donc à la peinture.

La peinture française est sans doute un peu plus riche sous l’angle de la mer que la littérature. C’est le côté mystérieux, insolite, coloré, toujours changeant, jamais figé des espaces maritimes, souvent réduits aux seuls rivages, qui a attiré l’œil et animé la palette des artistes.

Dès le XVIIème, des peintres nordiques ont signé de magnifiques toiles de « marines ». En France, il faut attendre le XVIIIème siècle pour voir de grands noms d’artistes s’attacher à décrire des scènes maritimes. Louis Garneray, Isabey, et surtout Joseph Vernet, auteur des quinze remarquables toiles de ports de France, ont peint des œuvres d’excellente facture. Un peu plus tard, au XIXème, Géricault signe « Le radeau de la Méduse », son œuvre la plus célèbre, et sa seule marine. Les frères Ozanne, Nicolas et Pierre, ont réalisé de très beaux portraits, si l’on peut dire, de tous les ports de France. Courbet, Manet, Monet, ont célébré la mer.

Fig 6 Courbet : La mer orageuse

Plus près de nous, Signac s’est fait connaître dans le monde entier à travers ses toiles de mer très cotées. Il est évidement trop tôt pour se risquer à dire quels artistes contemporains passeront à la postérité. Mais sans doute, s’il y en a, Luc-Marie Bayle, Marin Marie, Mathurin Meheut, tous ayant la qualité de « peintre de la Marine », en feront partie.

C’est l’occasion de dire un mot des « peintres de la Marine ». Ils existent officiellement depuis 1830 mais déjà Richelieu en avait mandaté. Ils étaient chargés, avant que la photographie n’existe, d’illustrer la mémoire, à finalité historique, des faits, lieux et acteurs, relatifs à la Marine et aux gens de mer.

Les peintres de la Marine forment aujourd’hui un corps d’officiers de la Marine, et sont au nombre de vingt. Ils sont nommés par un jury présidé par le Chef d’Etat- Major de la Marine, qui examine les œuvres présentées par les candidats lors du salon des peintres de la Marine, et exposées au prestigieux Musée de la Marine du Palais de Chaillot au Trocadéro. Le corps a été récemment élargi aux artistes de la photographie, Yann Arthus-Bertrand en est le premier représentant, Philippe Plisson en est un autre. On recense aussi un sculpteur, Jacques Coquillet.

Après avoir évoqué la peinture, je dirai un tout petit mot de musique.

Nous connaissons tous « La Mer » de l’impressionniste Claude Debussy. L’œuvre fut composée entre 1903 et 1905 lors de séjours à Dieppe et dans l’Ile de Jersey.

Fig 7 Debussy La mer ; La pochette du disque reproduit « La vague » de l’artiste japonais Hokusai.

Jean Cras, né à Brest en 1879, mort dans sa ville natale en 1932, est moins connu. Et pourtant il n’a cessé de composer durant toute sa vie d’officier de marine. Entré à l’Ecole Navale en 1896, il a beaucoup navigué, et durant ses embarquements, accompagné de son inséparable piano, toujours composé, inspiré par la mer et la Bretagne : œuvres symphoniques, musique de chambre, œuvres vocales et religieuses. Il est nommé Contre-amiral en 1931, a commandé le cuirassé « Provence ». Durant la Première Guerre Mondiale, il commande le contre-torpilleur « Commandant Bory » en Adriatique. C’est là qu’il termine son œuvre la plus connue, la musique de « Polyphême », drame d’Albert Samain.

C’était un marin averti, un musicien, et un créateur. On lui doit la « règle rapporteur Jean Cras », toujours utilisée sur les tables à cartes des passerelles des navires.

Plus près de nous, n’oublions pas la chanson : Charles Trenet qui voit danser la mer le long des golfes clairs, et Lopez qui glorifie la Méditerranée, aux iles d’or ensoleillées…

C’est donc la musique et la chanson qui nous ramènent au XXIème siècle. Où en est donc cette relation, cahotante par le passé nous l’avons vu, entre la France et la mer ?

La France et la mer aujourd’hui

Au plan institutionnel, un certain nombre d’évolutions montrent un regain d’intérêt de notre pays pour les affaires de la mer. La nécessité de coordonner la gestion des activités liées au monde maritime (on a dénombré jusqu’à dix-sept administrations de l’Etat concernées) n’est apparue que relativement récemment. En 1978 ont été créés un comité interministériel de la mer, présidé par le Premier ministre, et une mission interministérielle de la mer chargée de préparer puis mettre en œuvre les décisions prises par le comité. En 1981, le premier gouvernement de l’ère Mitterrand comporte un ministre de la Mer (Louis Le Pensec). Sous sa mandature est créé l’Institut Français de la Mer (IFREMER). Mais dès 1983, le ministère devient un simple Secrétariat d’Etat, rattaché au Ministère des Transports, et perd donc une grande partie de ses pouvoirs de coordination. Et en 1993, le Secrétariat d’Etat est supprimé, redonnant de l’importance à la mission interministérielle de la mer. Celle-ci perdure, et est depuis 1995 coiffée par un Secrétaire Général de la Mer, placé auprès du Premier Ministre. Il anime et coordonne « l’action de l’Etat en mer ».

L’action de l’Etat en mer est de la responsabilité des Préfets Maritimes, et, outre-Mer, des Préfets de département. Les Préfets Maritimes, officiers généraux de Marine, cumulent cette fonction pour laquelle ils dépendent directement du Premier Ministre, avec d’autres responsabilités de commandement militaire. Ils sont au nombre de trois, pour la Manche et la Mer du Nord à Cherbourg, l’Atlantique à Brest, et la Méditerranée à Toulon.

L’action de l’Etat en mer regroupe la sûreté des approches maritimes, la sécurité des personnes et des biens, la lutte contre les pollutions, le contrôle des pêches, la lutte contre les trafics illicites (drogue en particulier), contre l’immigration illégale, et bien sûr la défense des espaces maritimes. Y sont affectés des moyens de la Marine Nationale, de la Gendarmerie, des Affaires Maritimes et des Douanes.

Les diverses péripéties institutionnelles que nous venons d’évoquer illustrent une fois encore le manque de constance de notre pays dans la gestion des affaires océanes. Cependant, depuis quelques années, des initiatives utiles apparaissent, qui semblent révéler une réelle prise de conscience de nos dirigeants. Lors de la réunion 2018 du Comité Interministériel de la Mer, le Premier Ministre Edouard Philippe a introduit la séance par ces mots : « le XXIème siècle sera maritime ».

En 2006 est créé le « Cluster maritime français », à l’initiative des professionnels de la mer, afin de rassembler tous les acteurs du secteur maritime, de fédérer leur action et de mener de grandes actions de communication. Ce groupe informel est très actif. Il organise entre autres, conjointement avec l’Institut Français de la mer, des assises annuelles de l’économie de la mer. Les dernières ont eu lieu à Brest les 26 et 27 novembre dernier et connu un très grand succès. Le Premier Ministre, les Présidents des deux chambres parlementaires, les Présidents de Région y assistent régulièrement. La volonté de développer l’ambition maritime de notre pays, de renforcer le lien entre les français et la mer, est réaffirmée avec force.

Ces deux aspects avaient été pour la première fois exposés dans le « livre Bleu » présenté par le Premier Ministre en décembre 2009, avec pour sous-titre « Stratégie nationale pour la mer et les océans ». C’était la traduction logique du « Grenelle de la mer » qui a suivi le « Grenelle de l’environnement ».

Le comité France maritime, qui a vu le jour en 2017, associe les acteurs des régions littorales à ceux du cluster maritime .

Alors où en sont aujourd’hui les cinq marines, scientifique, marchande, militaire, de pêche et de plaisance ?

Les navires de recherche scientifique sont dévolus à la cartographie et l’exploration des fonds marins, les levés hydrographiques des franges côtières, le forage pétrolier en mer. Pour les deux premières catégories, la Marine Nationale et l’IFREMER partagent leur savoir-faire et leurs moyens. Le service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) a une renommée mondiale et a signé de nombreux partenariats avec des services similaires étrangers. Pour la troisième, Total est un des leaders mondiaux de l’exploitation « off-shore », y compris dans la conception et la réalisation de navires ; plateformes mobiles et installations sous-marines (Technip offshore est aussi une entreprise majeure). Nous rangerons aussi dans cette catégorie les câbliers, navires poseurs de câbles sous-marins, aujourd’hui fibres optiques, dont nous avons parlé au début de cette communication. Les six câbliers d’Orange Marine représentent un sixième de la flotte mondiale, et la société est reconnue comme l’une des plus expérimentées au monde. A ce jour, 190 000 kilomètres de câbles sous-marins ont été posés par Orange Marine. Le développement de l’éolien maritime va amener de nouveaux besoins en câbles sous-marins.

Fig 8 Cablier Pierre de Fermat (Orange Marine)

La marine marchande française gravite autour du dixième rang mondial. Etaient recensés sous pavillon national soixante-deux navires à passagers, soixante-et-un navires de fret (dont vingt-cinq porte-conteneurs, quarante-et-un pétroliers et méthaniers), six-cents navires au total représentant six millions de tonnes. Mais les compagnies maritimes arment aussi des navires sous pavillons étrangers. Ainsi, CMA /CGM, numéro trois mondial des portes conteneurs met en œuvre vingt-deux navires sous notre pavillon et en contrôle trois-cent-soixante-dix sous pavillon étranger. Louis Dreyfus reste encore une grande compagnie à l’échelle internationale, plus orientée sur le transport de vrac et de passagers.

Je ne dirai qu’un petit mot de la marine militaire, la marine nationale.

Longtemps quatrième marine du monde loin derrière les Etats-Unis et la Russie, plus proche de la Grande Bretagne, la marine nationale ne pointe plus depuis 2010 qu’au septième rang, largement devancée par la Chine, le Japon et désormais par l’Inde.

Malgré ce recul, dû non pas à son rétrécissement mais à la montée en puissance fulgurante des marines asiatiques, la Marine nationale continue de compter parmi les grandes marines et conserve d’important atouts. Elle maîtrise la panoplie complète des capacités navales : porte-avions à catapultes permettant la mise en œuvre d’avions embarqués à long rayon d’action, frégates sophistiquées, sous-marins nucléaires stratégiques et sous-marins nucléaires d’attaque, flotte logistique, guerre des mines, nageurs de combat. Elle maîtrise la propulsion nucléaire, et développe en propre la totalité des armes et systèmes électroniques, du lance leurres au missile de croisière. Les groupes Thalès et MBDA font autorité dans ce domaine : Thalès est le premier groupe mondial en matière de défense aérienne avancée et le premier européen en matière d’électronique de défense. MBDA, héritière de Matra défense, et filiale d’Airbus, BAE et Finmecanica, est le deuxième fabricant mondial de missiles. Et quant aux plateformes, Naval Group, issu des anciens arsenaux d’Etat de la direction des constructions navales, est présent dans dix-huit pays et vient de remporter de gros contrats à l’exportation, tout récemment douze sous-marins pour l’Australie.

Les quatre-vingt-dix navires de guerre de notre marine représentent environ trois-cent-mille tonnes et sont mis en œuvre par des marins jeunes et compétents. La Marine emploie quarante mille hommes et femmes, la moyenne d’âge est de trente-trois ans, celle des marins embarqués de vingt-huit, le taux de féminisation est de quatorze pour cent. Les femmes sont embarquées désormais sur tous les navires, y compris les sous-marins stratégiques. L’esprit d’équipage, fondement de la réussite de la mission, demeure à son plus haut niveau, et le professionnalisme des marins est unanimement reconnu. Voulant rester une armée de jeunes, les carrières courtes prédominent, la moyenne du temps de service est de treize ans. Corollaire de cette volonté, l’accompagnement vers une reconversion est performant, et montre que les anciens marins sont bien appréciés dans le secteur civil.

Fig 9 Porte-avions Charles de Gaulle

Il me reste à parler de la pêche et de la plaisance.

La pêche : le plus difficile sans doute des métiers de la mer. On dénombre en France un peu plus de vingt mille pêcheurs dont cinq mille à la pêche au large ou la grande pêche. La production française occupe la troisième place en Europe. Environ quatre mille cinq-cents navires de pêche sont basés en métropole et deux mille cinq-cents outre-mer.

La plaisance est aussi un secteur d’excellence dans notre pays. Dynamisée par les figures emblématiques des Monfreid, Moitessier, Tabarly, Kersauzon, Florence Arthaud et Isabelle Autissier, la course au large, moteur de la plaisance, a connu un grand essor dans la seconde moitié du XXème siècle et son expansion continue. Les deux salons nautiques annuels, Paris et Cannes, ont une renommée mondiale pour le premier, européenne pour le second.

L’industrie française de la plaisance est la championne du monde. Elle a mieux surmonté la crise des années 2000 que les autres, en particulier selon les experts car ses entreprises sont restées des entreprises familiales, empreintes de prudence dans leur gestion. Avec comme modèle Bénéteau, les chantiers navals français de la plaisance sont les premiers mondiaux pour les voiliers, monocoques et catamarans, et les seconds pour les yachts à moteur. Ils exportent les trois quarts de leur production (dont quarante pour cent aux USA, en Chine etc., et trente cinq pour cent en Europe) et représentent treize pour cent du marché mondial.

Je tiens aussi à saluer la magnifique SNSM, société nationale de sauvetage en mer, armée par des marins bénévoles, et qui va au secours et sauve chaque année plusieurs milliers de vies en péril.

Nous voici arrivés au terme de cette longue navigation à travers l’histoire de notre pays et nous allons rentrer au port. Et les ports, parlons-en !

Le Grenelle de la mer a enclenché, peut-être, une politique de long terme de valorisation de nos ports, et de leurs débouchés intérieurs, en impliquant directement à la fois l’Etat, les régions et les entreprises.

Je citerai à titre d’exemple le projet « HaRoPa » (Le Havre, Rouen, Paris) avec la création d’un établissement public unique de gestion des trois zones portuaires et des liaisons fluviales de la Seine. Comme l’avait dit avec clairvoyance Bonaparte, Premier Consul , en visite au Havre en 1802, « Paris, Rouen et Le Havre sont une seule et même ville dont la Seine est la grande rue ». Peut-être est-ce en train de se réaliser ?

Les améliorations des axes Rhône Saône depuis Marseille, des liaisons vers l’Est de la façade Atlantique, Nantes- Saint Nazaire et Bordeaux- Donges, sont aussi prioritaires.

Bref, assisterions-nous (enfin) à une prise de conscience de l’intérêt de développer nos atouts maritimes ?

Fig 10 Haropa

En guise de conclusion, je voudrais simplement évoquer, très rapidement, trois sujets qui tiennent l’actualité.

Le premier c’est l’écologie maritime. Autant, peut-être plus que l’atmosphère, le milieu marin est sensible aux pollutions de toutes origines, et aux variations climatiques. Je tiens à souligner que la lutte contre ces fléaux est désormais prise en compte. Que ce soit dans la construction, dans l’exploitation des navires, dans la réglementation des rejets en mer, les normes environnementales, de niveau mondial (Organisation Maritime Internationale) européen (l’Europe de la mer prend forme) et national, sont de plus en plus draconiennes et contraignantes.

Le second, lié au réchauffement climatique, est la perspective d’ouverture à la navigation du passage du Nord-Est, c’est-à-dire la voie maritime qui permet de relier l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en passant par le nord de la Sibérie. Ce passage, hier et encore aujourd’hui praticable seulement pendant quelques semaines d’été, permet de gagner quinze jours par rapport à la voie classique Méditerranée-Mer Rouge. La calotte glaciaire arctique diminuant, il est probable que cette route sera de plus en plus accessible tout au long de l’année.

Un navire de la marine nationale, le Rhône, a emprunté cette route en septembre dernier. Il a croisé un porte-conteneurs danois de deux cents mètres de long, plus grand navire a avoir jamais emprunté cette route. Et le géant chinois COSCO envisage de créer une ligne régulière de fret.

Le troisième et dernier sujet que je souhaite évoquer vient précisément de Chine. L’expansion maritime chinoise est gigantesque et extrêmement rapide. En quatre ans elle a construit l’équivalent de notre marine nationale. Sa marine marchande suit le mouvement et le contrôle des espaces maritimes mondiaux devient manifestement une de ses priorités. Elle investit dans le domaine portuaire en Europe, en Afrique, et au Moyen-Orient. Elle construit de véritables îles artificielles où flotte le pavillon rouge à l’étoile jaune. Quand on sait qu’il existe de graves différents territoriaux en mer de Chine méridionale, que d’autres puissances de la zone, Japon et Indonésie en particulier, développent leurs capacités maritimes, que les routes maritimes empruntent des détroits où peuvent se focaliser tensions et ambitions, on peut être préoccupé !

Nous sommes-nous en évoquant cela éloignés de notre sujet, la France et la mer ? Il me semble que non. Mon but était de vous exposer combien la mer par ses multiples aspects, stratégiques, économiques, environnementaux, est essentielle pour notre pays, combien nous avons d’atouts jusqu’à hier insuffisamment exploités. Je vous ai montré qu’il y avait peut-être aujourd’hui un frémissement, une prise de conscience. Espérons que cette fois-ci ceux-ci s’inscrivent dans la durée.

Vive la France, vive la Marine, et vivent les marins français !

En espérant ne pas vous avoir soumis au mal de mer, je vous remercie de votre attention et serai heureux de tenter de répondre à vos questions.

Fig 11 Vive la France, Vive la Marine
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