Comment redresser la France: la parabole du cyclone et du porte-avions

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Comment redresser la France:
la parabole du cyclone et du porte-avions
‘’’Amiral Alain Coldefy’’’

FIGAROVOX/TRIBUNE - Comme un porte-avions pris dans la tempête, la France doit dompter ses peurs et s’astreindre à une rigueur exemplaire si elle veut se sortir de la crise, suggère l’amiral Alain Coldefy.

«Commençons par la parabole du cyclone. Le cyclone est un révélateur des vertus des marins.» Papichev Aleksandr/aapsky - stock.adobe.com

L’Amiral Alain Coldefy.est un ancien major général des armées (n°2) l’auteur de Le sel et les étoiles aux Editions Favre.

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Crise sanitaire, crise sociale, crise économique, crise du climat, crises violentes ici et là, La crise en soi, pour grave et multiforme qu’elle soit, n’est pas une blessure mortelle pour les États. Mais elle peut le devenir si des symptômes de guerre civile apparaissaient sans être immédiatement traités à leur juste mesure. Certains les pressentent et on ne peut l’ignorer.

Il est temps de redresser la tête, ensemble. Mais pour le faire, un constat lucide, factuel et partagé s’impose. S’il est alors partagé, les actions à conduire deviennent évidentes. Commençons par la parabole du cyclone. Le cyclone est un révélateur des vertus des marins. Pouvant paraître lent voire immobile, il accélère et altère sa course, comme le prévoient les spécialistes que l’on n’écoute pas, et finalement surprend ceux qui nient les faits et la science des océans et de la météorologie.

La fuite, fatale, devant le danger, consiste à ne pas affronter courageusement le vent et les vagues mais à naviguer avec le vent et la houle venant au contraire de l’arrière. Le navire est alors un peu moins secoué, les passagers jouissent d’un relatif confort, hélas momentané. Car à la fin de l’histoire, il y a toujours une fin, les vents tourbillonnant de plus en plus fort conduisent inexorablement le capitaine couard vers l’œil du cyclone, ou plutôt, pour les spécialistes, vers le «mur de l’œil», qui entoure l’œil, mur de tous les dangers qui concentre en ses flancs la violence ultime de la nature, force terrible des vents et des vagues.

Il est encore temps, juste temps, de donner le coup de barre salvateur

Le navire, sa cargaison, son équipage, ses passagers, disparaissent à jamais. Ce peut être une civilisation aussi. La parabole est évidente. Tourner autour de la vérité, ne pas nommer les choses, nier le danger, puis hésiter devant les mesures à prendre pour difficiles et impopulaires qu’elles soient, c’est foncer dans le mur en fermant les yeux et les oreilles. Il est encore temps, juste temps, de donner le coup de barre salvateur. Alors la deuxième parabole, celle du porte-avions, prend tout son sens.

En résumé, un porte-avions, ce sont 2000 marins, hommes et femmes qui vivent pendant 24 heures sur 24 dans un espace contraint de 270 mètres de long, 50 de large, et dans 2000 locaux répartis sur 15 étages. Tension due aux opérations, stress qu’il faut surmonter, centrales nucléaires à conduire, dépôts de munitions, dont des armes nucléaires, et de carburant, terrain d’aviation constamment ouvert, c’est le quotidien de toutes et tous sans exception dès l’appareillage.

Comment faire cohabiter ensemble des hommes et des femmes de niveaux d’études allant de «Bac + 5» et souvent plus à l’échec scolaire dès le primaire, des hommes et des femmes d’origines sociales également aux antipodes, des hommes et des femmes qui sont pilotes de chasse, chefs de quart de centrale nucléaire, navigateurs, chirurgien pour les uns et qui compactent les déchets alimentaires ou font des rondes de sécurité dans les fonds pour les autres?

La réponse repose sur trois piliers absolument indissociables, au cœur de la vie sociale en harmonie.

Le premier, c’est la mission, commune à tout l’équipage. Elle caractérise une ambition et des valeurs partagées, une volonté de réussir et de gagner ensemble. Elle s’exprime par des mots simples, gages de clarté dans la tête de ceux qui les prononcent, de compréhension de ceux qui les reçoivent et d’efficacité par leur pouvoir mobilisateur.

Notre pays a su dans les grands moments trouver les mots pour se rassembler autour de consensus sociaux et d’ambitions de progrès partagées

Les exemples du siècle passé montrent que notre pays a su dans les grands moments trouver les mots pour se rassembler autour de consensus sociaux et d’ambitions de progrès partagées. Après la Première Guerre mondiale, et son lugubre et interminable cortège de morts, de blessés, et de familles meurtries, le gouvernement de l’époque a d’abord pris les mesures pour aider les soldats mutilés (les «gueules cassées») et les décorés vivants ou morts et leur famille dans le besoin (Société d’Entraide de la Légion d’Honneur).

Alors que le pays était en ruine, il a ouvert la voie et le rêve de la conquête de l’Air avec l’Aéropostale, et grâce à une industrie aéronautique porteuse de progrès innovants et qui avait construit 52000 avions et 90000 moteurs de 1914 à 1918. S’agissant de la mer et à l’époque des colonies, il crée l’Académie des Sciences coloniales aujourd’hui Académie des Sciences d’outre-mer, il transforme l’Académie (royale) de Marine en établissement public ouvert à toutes les disciplines de la mer, à commencer par la littérature et refonde la Ligue Maritime et d’outre-mer.

Après le second conflit mondial, les ordonnances d’octobre 1944 ouvrent le droit de vote aux femmes et celles d’octobre 1945 créent la sécurité sociale. Au début des années 60, le général de Gaulle dynamise l’ambition industrielle de la France dans les domaines du nucléaire, de l’aéronautique et de l’espace, une ambition qui fait de notre pays un des leaders mondiaux aujourd’hui. Alors en 2021 où est l’ambition mobilisatrice pour notre pays? Où est le grand dessein de notre grand pays?

Il faut combattre, en les expliquant, les peurs irrationnelles, des «antis», souvent entretenues par des bateleurs professionnels, hier contre le progrès au Moyen-Age, la science bien avant Galilée, la voiture, la locomotive, le tout-à-l’égout, aujourd’hui contre le vaccin qui a éradiqué bien des pandémies. La science a toujours porté le progrès humain, et les champs nouveaux réels et virtuels sont nombreux, espace, cybermonde, océans par exemple. Il n’est pas difficile d’en proposer dans de nombreux domaines, en un mot, oser et proposer pour unir.

La subsidiarité ensuite, bien comprise, est à la base du bon fonctionnement des organisations complexes

Le deuxième pilier est la rigueur. Rigueur dans l’exécution d’abord, car à bord du porte-avions pris en exemple, tout relâchement peut être mortel, dans les actes quotidiens (sur le pont d’envol, dans la conduite des centrales nucléaires, dans le dépôt de munitions, missiles nucléaires inclus, etc..) comme dans les situations de combat.

Dans la vie citoyenne, le manque de rigueur, à ne pas confondre avec un autoritarisme hors du temps, le regard détourné pendant des décennies sur des actes d’incivilité comme on dit maintenant, condamne à petit feu la démocratie et le bien-vivre ensemble.

Cette rigueur n’a de légitimité que dans l’adhésion de tous à la mission, le premier pilier et n’a d’efficacité que par un l’exercice d’un commandement juste et compétent. Ici, tous les mots ont leur sens: il n’y a jamais eu de «pacha» parachuté par le seul sésame d’un diplôme acquis bien des années auparavant.

De plus, les décisions de commandement prises à tous les niveaux, récompenses incluses, ne peuvent être remises en cause que lorsqu’il y a faute du décideur, mais jamais par un conseiller de cabinet sans expérience ou pour un motif de politique intérieure dont l’honneur est absent. C’est également une règle absolue qui doit être enseignée dans nos écoles de formation des futurs dirigeants.

La subsidiarité ensuite, bien comprise, est à la base du bon fonctionnement des organisations complexes. Toujours à bord du porte-avions, le commandant anime une équipe de 5 grands responsables, chargé des opérations, de l’aviation, de l’énergie, de la sécurité et enfin de la vie intérieure. Pas un de plus. Et chacun d’entre eux anime une équipe de la même taille dans son domaine. Et ainsi de suite. C’est une autre règle de base pour les mêmes écoles. Cette rigueur permet ensuite d’absorber les situations de stress, l’imprévu, l’inattendu, la catastrophe.

L’humanité est un mélange harmonieux d’autorité et de bienveillance, dans lequel chacun a le droit à une deuxième chance

Le troisième pilier est l’humanité. C’est sans doute le plus important. Chaque exécutant, quel que soit son niveau hiérarchique est considéré et respecté pour ce qu’il fait, à son niveau et surtout pour ce qu’il est, à tous les niveaux. La communauté, la société, on l’a vu lors de la crise actuelle, ne peut se passer des métiers qui sont les plus simples sans être les moins exigeants. Au-delà du porte-avions pris en exemple, la France non plus ne peut en faire fi.

L’humanité est un mélange harmonieux d’autorité et de bienveillance, dans lequel chacun a le droit à une deuxième chance, marqueur de l’expérience qui se forge et se transmettra ensuite. La recette est donc simple. Elle a le mérite d’être «prouvée au combat» et surtout d’être transposable sans en rien changer dans la société civile, peut-être au vocabulaire près pour certains. Mais ne pas nommer les choses est déjà accepter la défaite.


C’est certes un art de la mettre en œuvre, mais les exemples du passé montrent que le chemin est possible. C’est mon souhait pour l’année qui commence.